Pauline Gachet-Froidurot
« J’ai un enfant, j’ai une famille et peut-être qu’un jour je serais MOF ! »
Comment est née votre vocation ?
Dans ma famille, nous n’allions pratiquement jamais au restaurant. Mais un jour, alors que j’avais 8 ans, mon grand-père a fêté sa retraite chez Bernard Loiseau à Saulieu, un trois étoiles, qui n’était pas très loin de chez nous. Et là, j’ai découvert un monde parallèle et magique qui m’a émerveillé. J’ai dit à mes parents : voilà ce que je veux faire. Je veux travailler dans un grand restaurant comme celui-là !
Vous ont-ils soutenue dans ce choix ?
Ils n’étaient pas très pour. Eux-mêmes exerçant un métier exigeant beaucoup de sacrifices, ce n’est pas tout à fait ce qu’ils souhaitaient pour moi. Ils m’ont dit : « fais des études générales et à 18 ans, tu verras si tu veux encore faire ce métier. ». J’ai alors passé un bac général et je leur ai redit : « c’est vraiment ce que je veux faire ! ». J’ai fait une mise à niveau et me suis engagée dans un BTS hôtellerie-restauration à Poligny dans le Jura.
Aviez-vous une idée précise de ce que vous vouliez faire ?
Mes stages ont confirmé que c’était vraiment en salle que je voulais être. Dès ma sortie de l’école, je suis partie travailler à Loiseau des Vignes à Beaune, un des restaurants de Bernard Loiseau, puis au Relais, le restaurant gastronomique. A 20 ans, Il fallait que je voie de près ce que j’avais vécu en tant que cliente à l’âge de 8 ans. Simple commis quand j’y suis arrivée, c’est dans cette maison que j’ai appris les bases du métier. J’ai beaucoup observé, j’ai appris à courir avec des plateaux et à la fin, j’ai pu gérer un rang. Mes fondations étaient posées. Je ne vais pas mentir, c’était très dur et assez militaire là-bas à l’époque, mais quand je voyais le bonheur dans les yeux des clients, je réalisais tout ce qu’on pouvait leur apporter. Et j’ai adoré voir ça.
Le parcours de Pauline Gachet-Froidurot
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2012 : obtention du BTS hôtellerie restauration au Lycée de Poligny (39)
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Juin 2012 : commis de salle restaurant Loiseau des vignes 1* (Beaune)
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Mars 2013 : commis, demi-chef de rang puis chef de rang restaurant Le Relais Bernard Loiseau 3* (Saulieu)
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Janvier 2015 : chef de rang puis premier chef de rang restaurant La Table du Connétable 2* (Chantilly) : début de la collaboration avec le chef Arnaud Faye
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Mars 2016 : première participation à la Coupe Georges Baptiste professionnels (6 ième place)
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Depuis Août 2016 : premier chef de rang, assistante maitre d’hôtel puis maitre d’hôtel au restaurant La Chèvre d’Or 2* (Eze)
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Avril 2018 : naissance de sa fille Clotilde (1 an de pause professionnelle)
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Mars 2019 : lauréate de la Coupe Georges Baptiste professionnels, candidate France pour la Coupe Georges Baptiste Européenne (2022)
Étiez-vous à l’aise avec la discipline exigée ?
Oui, parce que j’ai reçu une éducation stricte, j’y étais déjà habituée. Et je n’étais pas une rebelle. En revanche, j’ai parfois mal vécu le fait de ne pas pouvoir donner mon avis. J’avais certaines idées et pas forcément l’espace pour les exprimer. On m’imposait de faire des choses que moi, je n’aurais pas faite de cette façon. J’ai commencé à mal le vivre et me suis dit que c’était le moment d’évoluer, de changer d’entreprise, de prendre un poste avec plus de responsabilités afin d’être un peu plus libre de faire que ce que je voulais avec mes clients.
Ce qu’on apprend à l’école est une chose, la réalité du terrain, une autre. J’ai adoré mes études, c’était génial. Les professeurs savaient vraiment nous transmettre la passion. Par contre, avant d’avoir fait des stages, il est difficile de comprendre ce que veut dire être en entreprise. C’est, je pense, la raison pour laquelle beaucoup de jeunes qui débutent arrêtent très vite. Ils ne se rendent pas forcément compte de la difficulté, parfois même physique, de pratiquer ce métier.
Est-ce un métier compatible avec une vie de couple et de famille ?
J’’ai rencontré mon mari (Louis Gachet, chef adjoint à La Chèvre d’Or) en BTS et dès le départ, nous avons toujours travaillé dans les mêmes maisons, lui en cuisine, moi en salle. On ne l’a pas fait en se disant que l’on voulait absolument travailler ensemble. Mais on a réalisé que c’était pratique afin de vivre les mêmes choses, en même temps. On se comprend, on connait la difficulté de certaines situations et on s’entraide. Quand l’un est fatigué ou a des doutes, l’autre est là pour dire : « Attends, ça va aller. Ne t’inquiète pas et n’oublie pas pourquoi tu fais ce métier ».
Quant à une vie de famille, oui c’est possible. Après avoir quitté Bernard Loiseau, nous sommes partis à Chantilly. C’est là que nous avons rencontré le chef Arnaud Faye, avant de décider de le suivre à la Chèvre d’Or en 2016. Nous n’étions pas encore parents et j’ai travaillé comme tout le monde, sans compter mes heures. En 2017 je suis tombée enceinte et ai terminé la saison. Je devais reprendre en août 2018, mais je ne voyais pas l’intérêt d’y retourner pour trois mois (le restaurant est fermé d’octobre à mars). J’ai alors eu un grand moment de doute. Je me suis demandé si je pouvais continuer, si j’en étais encore capable. Nous n’avions pas de famille sur place et donc aucune possibilité de laisser notre fille les soirs et les week-ends. Je me suis dit que pendant quelques années, ça ne serait plus possible…
Mais La Chèvre d’Or m’a rappelé, en me disant : « Tu as de l’expérience, tu connais la maison, tu as quelque chose à apporter ici. Nous te proposons de revenir, mais en changeant de poste ». J’ai accepté. Je n’étais plus en salle mais à l’accueil, chargée de gérer l’équipe d’hôtesses. C’était un peu dur pour moi de ne plus faire de service. Mes supérieurs l’ont compris et dès la saison suivante, m’ont proposé de revenir, en tant qu’assistante maître d’hôtel, au poste que j’avais occupé auparavant. Une super nouvelle ! Par contre, puisque j’étais la seule à ne pas travailler pas le soir, j’ai dû subir les préjugés de certains. J’ai essayé de ne pas trop les entendre et de m’imposer. Certes, je ne faisais plus douze heures par jour, mais neuf, mais ça ne m’empêchait pas d’avoir un rôle à jouer auprès des clients et des équipes. L’année suivante, je suis passée maître d’hôtel et je pense que j’ai réussi à trouver ma place.
Les mentalités ne sont-elles pas en train de changer ?
Oui, car c’est l’avenir ! Il faut absolument adapter notre métier. J’ai entendu des femmes me dire : « Ah oui, mais si tu veux être MOF, il vaudrait mieux ne pas avoir d’enfant. » Hé bien si, en fait, j’ai un enfant, j’ai une famille et peut-être qu’un jour je serais MOF ! Je suis dans l’équipe, la seule mère de famille et la seule à ne pas travailler le soir. Mais ce qui est fou, c’est qu’il y a aussi plusieurs pères de famille et pour eux la question ne se pose pas ! Il est aussi là le sujet, le quotidien d’une famille est encore sous la responsabilité des femmes. Pourquoi celles qui veulent faire ces métiers n’auraient plus le droit de le faire parce qu’elles ont un enfant ? Ce n’est finalement qu’une question d’aménagement d’horaires. Moi, ça m’arrange de travailler de jour, mais je sais que d’autres préfèrent eux travailler de soir. Certains managers n’ont pas encore ouvert les yeux sur ce tournant pris par notre profession. Sur le fait de proposer un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle pour que, justement nous soyons épanouis et par extension, nos clients aussi ! Même en étant passionné par ce métier, même si nous savons à quoi nous attendre en nous y engageant, nous avons aussi envie d’avoir une vie. Il est possible de trouver un équilibre. Oui, ça va changer. C’est inévitable.
D’où vous vient ce désir de participer à des concours ?
Nous sommes arrivés à Chantilly, en janvier 2015, au moment où le chef Arnaud Faye était en finale du Concours de Meilleurs Ouvriers de France. Mais il n’était pas le seul, il y avait aussi le directeur de salle et le chef sommelier. Les trois étaient finalistes des MOF cette année-là. Nous les avons vu s’entrainer comme des dingues. Nous étions au début de nos carrières et nous nous sommes dit : wow, c’est magique ! Peut-être que plus tard, nous aussi nous pourrions être MOF. Ça nous a fait rêver. Suite à ça, mon directeur de salle et le maître d’hôtel, m’ont suggéré de participer à la Coupe Georges Baptiste, le concours où selon eux j’aurais le plus à apprendre. Surtout si, plus tard je souhaitais faire les MOF. Je l’ai fait en 2016, je suis arrivée en finale, mais pas de podium pour moi, j’ai fini sixième. Je me suis dit : Ok, j’ai perdu. Mais ce n’est pas grave, j’ai tellement appris, j’ai reçu tellement de conseils, j’ai fait tant des rencontres avec des grands du métier. J’avais gagné en culture générale et culture gastronomique. Je me suis dit que je recommencerai un jour. Après la naissance de ma fille, j’ai pensé ne pas pouvoir reprendre ce métier, mais que j’étais capable de gagner cette Coupe. Et ainsi en retournant travailler, je gagnerai en crédibilité. J’ai fait six mois d’entraînement intensif toute seule, (je révisais quand ma fille dormait) et trois semaines après avoir repris le travail, en mars 2019, j’étais en finale et j’ai gagné. Pas seulement la Coupe, mais également en confiance en moi. J’ai toujours peur de ne pas être assez bien…je me dis qu’on pourrait me remplacer par un homme qui n’a pas d’enfant. Ce concours, je l’ai fait pour moi, pour enrichir mes connaissances, mais il faut bien admettre que je l’ai aussi fait un peu pour les autres.
Quelle est la touche personnelle que vous apportez au service ?
Ce que je n’aimais pas dans le service d’avant, c’était son côté un peu guindé. Quand, par exemple, alors que j’avais un bon feeling avec une table et que je savais que je pouvais le faire, on venait me dire dans l’oreille que je ne pouvais pas rester comme ça à parler aux clients. On m’a souvent dit : « imagine que tu es comme dans une pièce de théâtre, tu entres en scène et tu joues un rôle ». Eh bien ça, ça ne m’a jamais plu ! J’essaie plutôt de me mettre à la place des clients. Il m’est souvent arrivé de me sentir mal à l’aise dans des grands restaurants. Et pourtant, c’est mon métier ! J’avais l’impression d’être une étrangère, de ne pas y être à ma place. C’est ce que j’ai souhaité changer. Certains clients arrivent un peu stressés : ils ne connaissant pas les codes, ne savent pas quels couverts prendre…Je dis toujours à mes équipes : soyez naturels ! Gardez le respect, la politesse, mais ne proposez pas la même chose et le même service à tous. Adaptez-vous à la personne. Oui, on peut faire de l’humour, on peut rigoler si les clients en ont envie. Bien entendu, nous mettons en valeur la cuisine de notre chef. Mais si nous sentons une table bien dans sa bulle qui n’a pas envie qu’on leur explique trop longuement le plat, on dit simplement quelques petits mots pour montrer notre présence, et hop, on s’en va ! En voulant faire la même chose partout, on finit par ne plus avoir aucune identité. C’est dommage, parce chacun a quelque chose à apporter. J’adore, en début de saisons, voir la diversité des profils de l’équipe. Certains ont de l’expérience, certains débutent, il y a aussi souvent un garçon hyper entreprenant, qui parle beaucoup. Et là, on se dit que celui-là, il va falloir le cadrer. Mais aussi savoir à quel moment et avec quelle table il va plaire. Il y a ceux qui sont timides, très réservés, et à ce moment c’est à nous de leur dire : vas-y, n’hésite pas, tente ton truc ! Je pense que chaque personne peut convenir, il faut juste qu’elle soit bien accompagnée. Y compris à la table en la présentant : « Voilà notre nouvelle chef de rang. Elle est un peu timide, mais ne vous inquiétez pas, on compte sur vous ! ». Dans une équipe, chacun a sa place, à un endroit bien particulier, selon ses compétences et ses envies. C’est bénéfique pour tout le monde.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Mon mari et moi ne nous sentons pas prêts à avoir notre propre entreprise. Pas maintenant. Parce que nous savons, que pour le moment, ce serait au détriment de la vie de famille. Dans un futur proche, lui souhaiterait prendre un poste de chef et moi, continuer à me battre pour exercer mon métier. Nous sommes liés dans nos mouvements puisque nous sommes une famille, mais je n’ai pas du tout envie d’être imposée et qu’il accepte un poste en déclarant qu’il en faut aussi un pour sa femme. Je veux gagner ma place au même titre que lui, et surtout pas qu’on dise : « Ah oui, c’est la femme du chef, donc forcément, elle a eu le job ! » Nous avons aujourd’hui 10 ans de métier, nous sommes à la Chèvre d’Or depuis 2016, nous aimons cette maison et y sommes attachés. Mais il est vrai qu’on a envie d’un peu plus. Si nous avons une belle opportunité, il se peut qu’on parte. On ne sait pas quand, on ne sait pas où, mais en tout cas, c’est un souhait qu’on a et notre chef est tout à fait au courant.