Certains dîners ne se contentent pas d’avoir lieu ; ils se déploient comme un souvenir qu’on n’avait pas encore vécu.
Chez Andrea Aprea, à Milan, tout commence dans le silence élégant du lieu et par un geste. Un spritz à croquer, pétillant juste ce qu’il faut pour éveiller la curiosité ; un cocktail de crevettes miniature, une bouchée d’olive qui a le goût du soleil et de la patience. Ici, l’aperitivo n’est pas une mise en bouche, mais une déclaration d’intention : bienvenue dans la conversation entre mémoire et invention.

Très vite, la table devient un théâtre. Les pains défilent comme des personnages : grissini, crackers, pain de Naples à la mie dense, servis avec une huile d’olive pensée, non pas comme un accompagnement, mais comme un accord à part entière. Chez Aprea, les détails ne complètent pas le récit : ils l’écrivent.
Surgit la Sphère de Caprese, à la fois reconnaissable et méconnaissable. Tomate et burrata, oui, mais transfigurées. Le goût de l’été capturé dans une bulle fragile qui éclate sous la cuillère. Andrea possède ce don rare : il ne déconstruit pas la tradition pour la défier ; il la travaille avec grâce, jusqu’à ce qu’elle prenne une nouvelle respiration.


Le calmar, ensuite, soyeux, enveloppé d’une sauce noire profonde qui évoque la mer et la fumée. Un plat qui demande à se pencher, à écouter, pour ne pas perdre une nuance.
Puis le silence. Ce moment suspendu que certains plats imposent d’eux-mêmes.
Le désormais iconique Risotto Marino fait cet effet : un paysage de riz et d’algues en trois teintes, vert, rouge, noir, dessinant un horizon. L’océan en clair-obscur. Le sel, la profondeur, le souffle.


Vient le Tortello, garni de Grana Padano DOP Riserva, relevé de saucisse de Bra et surmonté de caviar. Une partition baroque, à la fois précise et sensuelle. Chaque bouchée trouve son équilibre, son élan, sa propre lumière.
Et puis, le rythme ralentit. Un pré-dessert autour du citron, vif et joueur, qui rafraîchit le palais et l’esprit. Puis la fraise et la menthe sauvage, vive, verte, lumineuse, un dernier murmure avant le silence.


Les vins, eux, ne sont pas là pour suivre mais soutiennent l’orchestre : un Bourgogne Cuvée Saint-Vincent 2021 de Vincent Girardin, délicat et juste ; un riesling de Kamil Barczentewicz, vibrant comme une ligne de lumière ; un Don Chisciotte di Fiano Campania 2022, solaire, généreux, poétique.


Le service, enfin. Une chorégraphie invisible, sans jamais une fausse note. L’assurance tranquille de ceux qui savent, la chaleur de ceux qui aiment. Tout respire la précision, mais rien ne sent la technique. Ici, on ne vous sert pas : on prend soin de vous.
Andrea Aprea ne se contente pas de cuisiner l’Italie, il la raconte. Il en partage la culture, la rigueur, la sensualité. Sa cuisine est un dialogue vivant entre Naples et Milan, entre enfance et exigence, entre mémoire et mouvement.
Merci, Andrea, et à ton équipe, de partager ainsi la culture culinaire italienne. Et de rappeler, avec élégance et sincérité, qu’à travers une table, c’est tout un pays qui se partage.
Betty Marais