Leanda Pearman
« Ces 20 ans de route ensemble, prouvent que notre relation de travail est solide. »
Parmi les 200 personnes qui travaillent au Manoir aux Quat’Saisons, il en est une qui occupe une place particulière, un poste légèrement en marge des fonctions habituelles du milieu de l’hospitalité. Leanda Pearman est depuis 20 ans l’assistante personnelle du chef Raymond Blanc. C’est elle qui l’épaule dans la gestion d’un agenda et d’un temps précieux, tant l’homme a de projets. S’il dédie toujours une grande partie de son temps au Manoir aux Quat’Saisons, qu’il a créé, développé (racheté en 2014 par Belmond puis maintenant LVMH) et qui depuis 1984 conserve deux étoiles Michelin ( plus une verte obtenue en 2021), c’est loin d‘être sa seule activité. On imagine mal, à moins de résider au Royaume-Uni, la notoriété de Raymond Blanc. Elle est immense. Il a ses propres shows culinaires, (dont le plus récent Simply Raymond, 2 saisons sur ITV), il participe à de nombreuses autres émissions, écrit des livres de recettes… Il est aussi le pionnier d’une cuisine écoresponsable et quand les médias cherchent un porte-parole pour défendre ou commenter cette approche, c’est lui le premier sur la liste.
Leanda Pearman, jongle donc avec un horaire souvent surchargé, mais son expérience lui permet de devancer les situations délicates, d’anticiper les souhaits et demandes de Raymond (comme elle l’appelle), de répondre en son nom aux diverses requêtes.
Quel a été votre parcours, avant de postuler cet emploi ?
Après le secondaire, j’ai suivi un cours de secrétariat bilingue. Il faut dire j’ai eu la chance d’avoir un père qui travaillait pour une compagnie française et qui, désireux de faire de ses enfants des européens, nous a transmis l’amour de la France. A la fin de ces études, je n’ai pas trouvé de job, mon père m’a donc envoyé en France dans une des filiales de son groupe pour un stage de 3 mois.
C’était à la division grue d’une compagnie de terrassement, pas le domaine le plus sexy ! Mais il m’a permis de vivre à Paris, et pour être honnête ce boulot de jour payait ma vie de nuit !
Je suis arrivée à l’âge de 17 ans et y suis resté 20 ans. J’ai habité à Paris, eu plusieurs emplois dans diverses compagnies et quand je suis revenue en Angleterre, j’ai été repérée par un chasseur de tête. Raymond Blanc cherchait un assistant personnel bilingue et voilà comment 20 ans après je suis encore à ses côtés.
Leanda Pearman en 5 dates clés
- 1979 : trimestre de cours en langue française à l’Université de Dijon, étudiante au Yorkshire Ladies’ Secretarial College
- 1980 : stage de 6 mois au département export chez Potain Poclain Material (PPM), Paris
- 1980-1996 : carrière parisienne chez IBM Europe, Middle East & Africa,
International Herald Tribune, LSG SkyChefs - 1996 : retour au Royaume-Uni, poursuit sa carrière dans le sport automobile
- 2002 : rejoint Le Manoir aux Quat’Saisons en tant qu’assistante personnelle de Raymond Blanc
Vous rappelez-vous votre première rencontre avec lui ?
Oui ! Je me souviens avoir attendu un très long moment à la réception qu’il soit disponible pour s’entretenir avec moi. Au bout de 45 minutes, je me rappelle m’être dit que quand bien même l’entretien aurait lieu, je n’aurais peut-être pas la patience d’aller jusqu’au bout ! Avant de commencer mon travail chez Raymond, j’accompagnais deux hommes d’affaires internationaux qui possédaient des propriétés en France et à Genève. J’avais donc un mode de vie professionnel très différent. C’était plutôt agréable de savoir que j’allais travailler avec quelqu’un d’inspirant, quelqu’un qui a une notoriété incroyable dans le pays. Je savais que mes journées ne seraient jamais les mêmes, semaine après semaine. Nous nous sommes rapidement très bien entendus et ces 20 ans de route ensemble, prouvent que notre relation de travail est solide.
Quelle était alors la description de tâches ?
Au départ, vous imaginez que vous êtes là pour assister quelqu’un dans des tâches plus ou moins administratives, mais en fait c’est bien plus que cela, il y a toujours de nouveaux défis. Mais ça me convient vraiment. Aucun jour n’est pareil. En plus d’élargir mes compétences, ce poste est amusant et stimulant à occuper. Raymond est un homme très engagé. Trop engagé ! Tenter de gérer quelqu’un qui pense qu’il y a 24 heures dans une journée de huit heures, c’est assez exigeant. Cela fait passer la journée très rapidement ! Certains jours, vous pensez que vous allez avoir une journée tranquille, mais ça n’est qu’une illusion. C’est un artiste, et il exploite cette capacité ou ce don incroyable que tout le monde n’a pas. Je pense que même pour lui, cela doit être parfois éprouvant d’avoir continuellement quelque chose en tête, d’avoir toujours quelque chose à faire le lendemain. Il ne reste jamais immobile. Pour quelqu’un qui est septuagénaire, son énergie, sa passion et sa capacité d’excitation sont fantastiques.
Votre rôle a-t-il évolué au fil des ans ?
Mon dévouement et le soutien que je lui apporte, lui ont permis de s’appuyer de plus en plus sur moi. Il sait que je suis extrêmement digne de confiance, que je peux le représenter lors de réunions et transmettre sa vision. Je considère comme un grand honneur de pouvoir le faire en son nom.
Nous avons par exemple, au sein de l’hôtel, des chefs de départements, dont moi, qui suis chef de département du bureau de Raymond. Toutes les trois semaines, nous nous retrouvons pour faire le point et je fais une présentation des projets en cours, et ceux à venir. Les interviews et émissions de télévision auxquelles il participe, les signatures de livres, les congrès, les activités en lien avec nos partenaires commerciaux. Je suis son porte-parole, non seulement pour notre département mais pour tous ceux qui souhaitent savoir ce qu’il fait et où il se trouve. Car bien que ses bureaux soient ici, au Manoir, il est parfois hors du restaurant pour d’autres engagements.
Lui réservez-vous des temps précis de présence au Manoir ?
Il n’y a pas vraiment de règle concernant sa semaine de travail, comme des jours fixes où il serait ici par exemple, les mardi et mercredi. Mais je travaille son agenda afin de rassembler un maximum de rendez-vous quand il est hors site. Et ça prend beaucoup de mon temps de jongler avec l’agenda.
Un exemple de vos tâches de la journée ?
Raymond se concentre aujourd’hui sur son école de jardinage qui est déjà très réputée. Il souhaite la développer pour en faire un lieu de connaissances et d’apprentissage. Je suis donc en contact avec des personnes de la Royal Horticultural Society (RHS) qu’il a rencontrées au Chelsea Flower Show et à Hampton Court. J’essaie de caler le calendrier des réunions afin qu’il puisse commencer à avancer sur cette voie. C’est donc un de mes projets de l’après-midi, sur lequel je dois me concentrer. Généralement, c’est toujours ma boîte de réception qui est ma priorité. Raymond étant absent pour quelques jours, le bureau est assez calme et c’est le moment idéal pour faire le tri des messages !
Recevez-vous beaucoup de demandes, en particulier des médias ?
Au Royaume-Uni, Raymond est considéré comme la grande figure de proue et le porte-parole de la durabilité. Donc, si le sujet apparaît dans les nouvelles, les médias veulent son témoignage. S’il se passe quelque chose ici ou en France en matière d’agriculture, beaucoup se tournent immédiatement vers lui pour un commentaire.
Cela signifie pour moi devoir parfois le chasser à travers la campagne pour lui faire parvenir cette demande, lui demander s’il est prêt à répondre.
Trouvez-vous que la pression médiatique exercée auprès des chefs a augmenté ?
Je pense que oui. Le consommateur veut maintenant savoir d’où vient sa nourriture et il est tout à fait naturel qu’il se tourne vers des chefs qui ont la réputation de proposer des aliments locaux et responsables. Raymond est depuis longtemps un grand militant et il est donc très sollicité. Mais c’est une partie intéressante de mon travail d’interagir avec les journalistes, de comprendre ce qu’ils recherchent et ensuite de préparer Raymond afin qu’il soit en mesure de livrer quelque chose qui est compréhensible par le public.
Votre rôle est-il de protéger Raymond ou de le promouvoir ?
La promotion vient toute seule, c’est quelque chose que nous ne faisons pas activement. Raymond vient d’avoir une émission télévisée diffusée au cours des deux dernières années sur ITV, ce qui l’a évidemment encore une fois remis sous les feux de la rampe. Nous avons beaucoup de chance que les gens viennent directement à lui. Mais bien sûr, nous évaluons toutes les demandes et opportunités dans le meilleur intérêt de Raymond et aussi de l’hôtel.
Arrive-t-il que votre assistance s’étende au-delà de l’horaire professionnel ?
Au fil des ans, je suis parvenue à juger de ce qui est urgent et ce qui ne l’est pas. De ce que je peux ignorer sur le moment et garder pour le lendemain matin. Évidemment, il y a des appels téléphoniques en dehors des heures d’ouverture, ce à quoi j’ai toujours été habitué dans ma carrière, mais je pense que nous avons plutôt bien géré la situation pour le moment. Il est arrivé que je reçoive un appel à 02h du matin, pour une histoire d’avion par exemple. Tout ce que demande, c’est cinq minutes pour me réveiller et être opérationnelle !. C’est justement à ce moment-là qu’il compte sur moi.
Je partage la « garde » du week-end avec une collègue afin que nous ayons des week-ends totalement libres. Et lorsque Raymond n’est pas ici à l’hôtel, je peux aussi travailler à domicile, ce qui est un grand avantage pour moi. Je suis donc beaucoup plus relax à l’idée d’avoir des sollicitations en dehors des heures de travail. Je pense que si vous donnez, vous recevez aussi et je me sens à ce point d’équilibre.
La confiance est-elle l’ingrédient principal de votre relation ?
Absolument. C’est essentiel pour Raymond et je sens que j’ai sans aucun doute, la clé de sa confiance totale. Ce qui est un incroyable privilège et cela me permet d’être totalement sereine.
Pensez-vous à votre futur ? Pourriez-vous être l’assistante personnelle de quelqu’un d’autre ?
Il est probable qu’à un moment donné, Raymond va prendre du recul. Je pense qu’il y aura alors un rôle pour moi ici au sein du bureau, car son nom sera toujours associé au Manoir. Peut-être prendrai-je un jour de congé par semaine… Mais si cela était nécessaire, je serais curieuse de voir quelles autres opportunités pourraient s’offrir à moi. Je pense que j’aurais toujours quelque chose à offrir dans un emploi qui demande du dévouement et de l’expérience.