Rachel Coe

« Je me sens tellement chanceuse de travailler avec une équipe aussi formidable. »

L’histoire semblait tout écrite pour Rachel Coe la jeune californienne, élevée dans une famille grande amatrice de vin. Elle sera cheffe ! La cuisine, c’est effectivement ce qu’elle a étudié, avant que le monde du vin ne la rattrape et lui permettent d’accéder au poste de sommelière d’un des plus prestigieux restaurant de San Francisco, celui de la cheffe Dominique Crenn. Un poste qu’elle n’a malheureusement occupé que deux mois, avant qu’un certain coronavirus ne mette en pause une industrie entière. Qu’à cela ne tienne, depuis deux ans elle participe à toutes les activités mises en place par une cheffe déterminée à s’engager socialement pour préserver son staff et apporter du réconfort à ceux qui en ont besoin. Plus que tout, Rachel aime le contact avec les gens, ceux qu’elle conseille, ceux qu’elle forme. Des qualités qui font d’elle bien plus qu’une experte du vin. Une vraie pro de l’hospitalité.

Comment est né votre amour du vin ?

J’ai grandi en Californie dans la Baie de San Francisco, dans une famille qui appréciait le vin.  Particulièrement mon père, qui est chirurgien, et qui nous encourageait toujours à le goûter, à en parler et à en apprendre toujours davantage. Partager de l’alcool avec ses enfants à table est peut-être courant en France et en Europe, mais c’est quelque chose de très inhabituel dans la culture américaine ! Tout tournait autour des points et des scores, il imprimait des fiches, et il nous questionnait sans cesse. Après quelques années, j’ai commencé à utiliser les mots d’un chroniqueur de vin : » c’est de la cerise, du tabac et du clou de girofle » Mais ce qui me passionnait vraiment, c’était la cuisine. J’ai grandi dans les années 2000 en regardant des chaines de télé comme Food Network, avec des chefs célèbres et glamour. Depuis le collège je voulais être cheffe. Je passais des heures à préparer des petits plats pour mes amis qui les avalaient en un clin d’oeil ! Quand est venu le temps de décider de mes études, j’ai voulu entrer dans une école culinaire. Mes parents m’ont soutenue, mais m’ont d’abord encouragé à suivre une formation universitaire. Pour sortir de ma zone de confort, me forger ma propre identité, je voulais quitter la Californie, même s’il y a un million d’écoles merveilleuses ici. Je suis donc parti pour l’université du Missouri, et ça a été à la fois un choc culturel… mais thermique aussi !

Je me suis spécialisée dans le management hôtellerie-restauration avec l’intention de devenir cheffe, d’ouvrir peut-être mon propre restaurant. C’était vraiment cool d’enfiler une blouse de chef, de cuisiner et en plus d’obtenir un diplôme en le faisant ! Puis je suis devenue assistante d’enseignement, vous savez celle qui fait partie d’un jury de dégustateurs comme dans une émission de télé ! Après cela je suis partie à Florence pendant deux mois. C’est là-bas que j’ai approfondi mon amour du vin, que j’ai commencé à comprendre la connexion entre le vin et la cuisine, les liens entre l’histoire, la géologie et la géographie, tout ce qui fait qu’un vin est tel qu’il est. Lors de ma dernière année d’université, j’ai travaillé dans un bar à vin européen où j’étais à la fois en cuisine et au bar. C’est là que j’ai réalisé que je voulais travailler en salle, que, bien que passionnée par la cuisine, je voulais être en lien avec les gens. C’est alors que j’ai alors envisagé de devenir sommelière.  Mon diplôme en poche j’ai donc suivi un cours en sommellerie. 

Le parcours de Rachel Coe :

  • Juin 2014 : Diplômée en management hôtelier, (avec une mineure en business) de l’Université du Missouri

  • Décembre 2014 : Réussi l’examen de maitre sommelier certifié avec la plus haute note et obtient la bourse Walter Clore

  • Février 2015 :  Commence en tant que sommelière au Rosewood Sand Hill à Menlo Park, Californie

  • Juin 2018 :  Membre de l’équipe d’ouverture du Rosewood Baha Mar à Nassau, Bahamas

  • Février 2019 : Membre de l’équipe d’ouverture du Rosewood Miramar Beach Montecito, Californie

  • Mars2019 : Membre de l’équipe d’ouverture du Rosewood Hong Kong

  • Octobre 2019 : Obtient le titre de Advanced Sommelier de la Cour des Maitres Sommeliers Amérique

  • Janvier 2020 : Débute en tant que cheffe Sommelière de l’Atelier Crenn et du Bar Crenn

  • Mars 2021 : Promue Directrice du Vin, de l’Atelier Crenn et du Bar Crenn

  • Octobre 2021 :  Finaliste nationale de la compétition Jeunes Sommeliers – Chaine des Rôtisseurs.

Saviez-vous déjà que vous vouliez travailler dans un restaurant gastronomique ?

Lorsque j’étais jeune, j’étais clairement fascinée par le monde des étoiles Michelin et de la gastronomie, je savais que je ne voulais pas simplement être dans un restaurant familial mais dans un restaurant emblématique, qui me pousserait à donner le meilleur de moi-même. Des années plus tard, je peux dire que travailler dans un restaurant gastronomique, n’est certainement pas aussi glamour que je le pensais, mais je savais que c’était ma vocation. Pour y arriver cela n’a pas été simple. Je n’avais pas beaucoup d’expérience en salle quand j’ai passé mon examen de sommelier. J’ai commencé à travailler dans la Silicon Valley, au Rosewood Sand Hill, un resort avec une table étoilée. D’abord dans le lounge, plus décontracté, puis dans le restaurant lui-même. C’était difficile d’appréhender l’ensemble du service alors que vous sortez de l’école ! Il y a eu beaucoup de moments durs, beaucoup de larmes, j’étais une si jeune sommelière… Il m’arrivait de me présenter à une table où après m’avoir regardée, on me disait : mais êtes-vous assez âgée pour boire du vin ? Peut-on voir votre patron ? Il m’a fallu beaucoup de temps pour gagner respect et confiance.  J’ai finalement travaillé pendant 5 ans pour cette marque.  J’ai eu la chance d’ouvrir pour eux différentes propriétés à travers le monde, à Santa Barbara, à Nassau, aux Bahamas, puis à Hong Kong. Je pensais vraiment rester dans ce milieu des hôtels et resorts, et continuer à enchainer les ouvertures, l’enseignement et la formation. 

Quel chemin vous a mené vers Atelier Crenn ?

En octobre 2019, j’ai passé et réussi mon examen de sommelier de niveau avancé. Juste après, j’ai eu une réflexion étrange. Je me suis dit : et maintenant ?  Est-ce que je change de métier ? Est-ce que je change de chemin ? En vue de l’examen j’avais fait des stages dans des restaurants trois étoiles pour acquérir de l’expérience. Des amis me poussait dans ce sens. Mais dans mon esprit, c’était non, je reste où je suis. Tout a donc commencé par un entretien d’embauche chez Dominique Crenn, le premier où j’ai eu enfin l’impression de faire quelque chose, de ne pas juste me tenir dans un coin ou verser de l’eau. Puis j’ai passé un entretien pour le poste, et en décembre 2019, j’ai eu l’opportunité de travailler chez Atelier Crenn. Un grand changement pour moi ! Et puis le 17 mars 2020 est arrivé…Lockdown mondial avec le Covid !  Quel début bizarre ! Maintenant, avec le recul, je suis heureuse d’avoir fait ce changement dans cette période. J’ai été témoin de la confiance et de la responsabilité que Dominique Crenn place en son équipe.

Quelle a été votre première impression du restaurant ?

Je suis dit : wow, c’est ça ? Huit tables ? Si petit et pourtant mondialement connu ! Les deux premiers jours, je ne savais pas où me tenir, quoi faire, ou à qui parler. Mais très vite j’ai réalisé que je travaillais avec une équipe patiente, qui prenais le temps de me transmettre toutes les subtilités de service. J’arrivais d’un restaurant ou un client avait disons, cinq plats, peut-être huit lors d’un menu dégustation, et là il y en avait 16 ! Mais ce qui m’a le plus frappée c’est le respect du timing, comme tout doit se passer dans un certain laps de temps. Ce qui vous oblige à lutter contre la montre tout en offrant aux hôtes une expérience merveilleuse et mémorable.  J’ai remarqué aussi le silence et la précision de la cuisine, une chorégraphie avec au centre le chef de cuisine. Un bref regard, et hop, tout se met en place et les plats arrivent ! Aujourd’hui, simplement en regardant le sol, j’ai une vue d’ensemble du restaurant et je peux comprendre instantanément ce qui se passe. Alors qu’au début…

 

Lorsque les gens s’assoient pour ce genre d’expérience culinaire, ils laissent le chef décider de tout. Ce qui, pour le vin, n’est pas toujours le cas. Certains ont des opinions sur le vin, d’autres non. Comment vous adaptez-vous ?  

Vous avez raison. En ce qui concerne la nourriture, ils s’en remettent complètement à nous. Ils n’ont presque pas besoin de voir le menu que la cheffe écrit sous la forme de poème. Il y a donc du mystère. Pour le vin, c’est une autre histoire… certains viennent pour une expérience globale, et décident d’opter pour un accord mets et vins, ce qui leur épargne aussi le stress de devoir sélectionner des bouteilles. Et puis, d’autres viennent ici, et d’emblée veulent quelque chose « qui en jette », un Bordeaux, un Cabernet… Et c’est une acrobatie que de les laisser profiter de ce qu’ils veulent. Je pense que vous devez toujours boire ce que vous aimez, peu importe si c’est l’accord parfait. Si c’est ce qui va rendre votre soirée mémorable, alors pourquoi pas ? Mais c’est aussi mon travail de les guider vers une bouteille qui les aidera à profiter au mieux de leur expérience, en mettant en valeur la cuisine, qui est ici sans viande. A moi d’essayer de les embarquer dans notre histoire et de leur suggérer de commencer avec un vin peut-être plus léger, avant de passer à quelque chose de plus puissant.  

Comment la créativité qui caractérise la cuisine, peut-elle aussi s’exprimer dans votre proposition ?

En faisant des accords mets-vins inattendus, qui me surprennent moi-même.  En proposant aux clients des vins qui reflètent la philosophie de Dominique Crenn, élaborés par des vignerons engagés, qui réfléchissent à leur impact sur la planète, adeptes d’une agriculture biologique, biodynamique…Et en me concentrant vraiment sur leur histoire. C’est génial d’avoir la confiance de nos hôtes et de pouvoir par exemple leur faire tester un vin du Mexique. Peut-être viennent-ils de voyager là-bas et que tout ce qu’ils ont bu était de la tequila ! Eh bien maintenant, ils ont découvert ce vin merveilleux. J’aime les pousser hors de leur zone de confort, sans toutefois aller trop loin. Car il faut toujours qu’ils considèrent qu’il y a une réelle valeur dans ce que vous leur proposez.

Travaillez-vous sur des accords sans alcool ? 

Oui, et ils ont été très populaires, surtout au cours de la dernière année. C’était quelque chose que nous faisions avant la pandémie, mais auquel on ne prêtait pas beaucoup d’attention. Un peu comme un mariage secret.  Alors que maintenant c’est beaucoup plus ouvert, répandu et pas seulement pour ceux qui ne boivent pas d’alcool. Un couple par exemple prendra un accord avec, et un sans alcool. C’est amusant pour eux de comparer et de partager. Nous avons la chance d’avoir une ferme dont nous pouvons utiliser les produits, ainsi que le talent de chefs dotés d’une grande palette d’expériences, qui ont été barman dans une autre vie ou bien connaissent un ingrédient particulier avec lequel ils ont déjà travaillé. Lorsque j’ai commencé à formuler des boissons sans alcool qui se marieraient avec la cuisine, ma première piste a été de les modéliser sur le vin. Un de ceux dont je suis la plus fière est une boisson à base de thé fumé au cyprès, jus de betterave et de cerises, que la cheffe Crenn a appelé Essence of Earth. Dans le verre il ressemble à du vin rouge et il a des saveurs terreuses et funky. Mais cela a pris beaucoup d’essais et d’erreurs. Je me souviens l’avoir apporté au chef R&D, qui après l’avoir senti m’a dit « ça sent le grenier de ma grand-mère ! ». C’est déroutant pour certains, mais cette boisson est maintenant considérée comme un élément de base de notre menu. Nos jardiniers s’amusent à infuser différentes herbes, fleurs et fruits séchés au soleil. C’est ce qu’ils sirotent tout au long de la journée. J’ai beaucoup appris avec eux. Nous formulons un thé que nous changeons chaque semaine. Avec des baies, de la camomille, de la verveine-citron… différentes saveurs qu’a priori vous n’imaginiez pas fonctionner ensemble. En utilisant des produits de la ferme pour mettre en valeur un plat, la boisson finit par faire partie de ce plat. C’est réellement un défi, car comment puis-je vraiment rehausser un plat qui à mon sens est déjà parfait, que la cheffe a passé des mois à créer ?  Vous avez parfois presque trop de liberté dans laquelle vous pouvez vous perdre.

Comment la carte des vins est-elle composée ?

Notre carte des vins contient 700 à 800 sélections. Donc peu par rapport à celle avec laquelle je travaillais précédemment qui en comptait environ 2400 et où vous vous retrouviez sans raison à fouiller dans une page de Zinfandel ! J’ai donc appris à comprendre la valeur d’une carte plus ciblée. Elle se concentre principalement sur les vins californiens et français, mais aussi d’autres régions. Beaucoup de nos clients nous font confiance et choisissent le pairing sans même la regarder. Mais je les encourage à le faire quand même, parce que c’est mon livre préféré ! Je trouve qu’il y quelque chose de poétique à toucher une liste physique, à la parcourir… elle reflète aussi la philosophie du restaurant. Bien sûr, nous avons les classiques, le grand Bordeaux, les grands noms de champagne, mais c’est vraiment amusant d’y débusquer d’autres régions, avec des vins qui sont peut-être à un prix inférieur et qui conviennent à ceux qui sont soucieux de leur budget. Je veux leur proposer un vin qui leur rappellera un vrai souvenir et pas simplement d’être le moins cher de la carte !

Quelle serait dans un futur plus lointain la prochaine étape pour vous ?

C’est quelque chose à laquelle j’ai beaucoup pensé durant cette période. Ça fait deux ans que je suis ici et je suis loin d’en avoir fini avec cette maison. J’ai appris tellement de choses ! Je pense qu’il me faut encore quelques années pour vraiment bâtir mon équipe et avoir l’impression de laisser ma marque sur la carte des vins et le restaurant lui-même. A plus long terme, j’aimerais travailler en tant que consultante, participer à ouvrir des restaurants, aider à la formation, voyager… mais certainement pas tout de suite !  Je me sens tellement chanceuse de travailler avec une équipe aussi formidable.