Nadia Arasia
« Mémoriser les habitudes de ses clients, c’est entamer avec eux une conversation qui ne prend jamais fin. »
A 36 ans, Nadia Arasia est passée par les plus belles maisons étoilées françaises. Originaire de Montpellier, Nadia a toujours sélectionné avec précision les restaurants dans lesquels elle souhaitait exercer. A la fois pour les chefs qui l’inspirent, la beauté des produits, et toujours l’amour de la relation client. Tombée sous le charme du Luxembourg, Nadia a rejoint le restaurant deux étoiles Ma Langue Sourit à l’été 2021 en tant que Maître d’Hôtel.
Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous devenue Maître d’Hôtel ?
A l’origine, rien ne me prédestinait à ce métier. J’ai fait mes études à Montpellier, en sciences médico-sociales. J’avais alors commencé à travailler l’été dans les restaurants de bord de plage, et je me suis rendue compte que j’aimais vraiment beaucoup la relation au client, ce petit coup d’adrénaline que l’on ressent au début de chaque service, et le fait qu’il n’y ait jamais vraiment de routine. Je me suis dit que si je voulais m’orienter professionnellement vers ce métier, il fallait absolument passer par Paris.
A l’époque, je suivais beaucoup l’émission de Joël Robuchon “Bon appétit bien sûr”. Je n’ai envoyé qu’un seul CV, et c’est à la Table de Joël Robuchon. Le maître d’hôtel du restaurant m’a reçue et m’a mise à l’essai au poste de chef de rang. Les premiers jours ont été très difficiles car je n’y connaissais rien, j’ai dû apprendre très vite sur le terrain, tout mémoriser, tout assimiler rapidement, les protocoles français mais aussi étrangers car il y avait une forte clientèle internationale. Mon école hôtelière, je l’ai faite sur le terrain !
Nadia Arasia en 8 dates clés
- 2007-2009 : Chef de rang à La Table de Joël Robuchon (Paris, 2*)
- 2009 : Chef de rang au restaurant Serge Vieira (Chaudes aigues, 2*)
- 2010 : Chef de rang au restaurant Michel Bras (Laguiole, 3*)
- 2011-2013 : Chef de rang à l’Auberge du Vieux Puits (Fonjoncouse, 3*)
- 2013-2014 : Chef de rang au restaurant Clairefontaine (Luxembourg, 1*)
- 2014-2019 : Responsable du magasin Vinissimo (Luxembourg)
- 2019 : Maître d’hôtel au restaurant Les Jardins d’Anaïs (Luxembourg, 1*)
- Depuis 2021 : Maître d’hôtel au restaurant Ma Langue Sourit (Luxembourg, 2*)
Je suis restée 2 ans à la Table de Joël Robuchon, puis j’ai voulu rejoindre le Chef Serge Vieira qui venait d’obtenir le Bocuse d’Or. J’ai ainsi fait l’ouverture du Château Couffour, dans le Cantal. J’ai toujours eu la passion de ces grandes maisons de campagne, pour leur côté familial et en même temps cette rigueur et cette exigence à laquelle ils ne dérogent pas. Je suis restée un an en tant que chef de rang, avant de rejoindre les cuisines de Michel Bras. Un an plus tard, quand j’ai entendu que Gilles Goujon venait d’obtenir sa troisième étoile à l’Auberge du Vieux Puits, j’ai voulu rejoindre l’aventure. J’avais toujours rêvé de travailler aux côtés d’un Meilleur Ouvrier de France.
Par la suite, on m’a proposé de devenir responsable d’un magasin qui faisait à la fois épicerie, vinothèque et restaurant. Pendant 4 ans, j’ai beaucoup appris sur le vin, la gestion et les achats. Puis l’envie de retourner à mon métier de cœur s’est fait sentir. J’ai rejoint des amis au Luxembourg et je suis tombée sous le charme de ce pays très cosmopolite.
Après une première expérience dans le restaurant étoilé Clairefontaine, je suis devenue Maître d’Hôtel du restaurant Les Jardins d’Anaïs, aux côtés du Chef Christophe Quentin. Le Chef est parti après le covid et moi, j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Cyril Molard, le Chef de Ma Langue Sourit. Il m’a alors proposé de devenir Maître d’Hôtel de son restaurant, et c’est ainsi que j’ai rejoint les équipes en août dernier.
La cuisine du Chef est généreuse et gourmande, sans cesse à la recherche de cet équilibre entre l’amertume et l’acidité qui pourra rythmer la dégustation. Il s’inspire beaucoup de la cuisine scandinave et parvient à rendre le légume gourmand, sans le dénaturer. Je pense notamment à ce plat actuellement à la carte du Menu Signature, Langoustines et artichaut, qui représente pour moi la quintessence de cet équilibre entre les saveurs.
Au-delà de sa cuisine, c’est un chef qui me parle par ses valeurs humaines. Cela fait plus de 10 ans qu’il est à la fois chef et propriétaire de son établissement, et pourtant, il cherche toujours à évoluer, à se remettre en question. Il est aussi très à l’écoute de ses équipes, et lors des dégustations il se montre toujours sensible à notre perception des choses. Il a de grandes qualités humaines, à commencer par l’humilité, et je le respecte beaucoup pour cela.
En quoi le rôle de Maître d’Hôtel est-il important ? Que voulez-vous transmettre ?
Mon rôle est de coordonner le service, mais aussi de faire le lien entre la salle et la cuisine. Par exemple, pour toutes les questions d’allergies et d’intolérances alimentaires qui sont aujourd’hui très présentes. C’est pourquoi la clé de notre métier est la communication. De la réservation du client jusqu’à sa venue chez nous, nous devons sans cesse communiquer entre nous pour récupérer un maximum d’informations à son propos. Nous prévenons au plus tôt la cuisine afin qu’elle puisse travailler sur un plat voire un menu complet adapté ; chaque client doit ainsi pouvoir bénéficier du même niveau d’expérience quand il déguste.
De même, quand un client arrive, je dois interpréter en un fragment de seconde sa démarche afin que l’on puisse adapter le service. Est-il ici pour un repas d’affaires ou un dîner romantique ? Est-ce un anniversaire ? En analysant la démarche du client, nous déployons une expérience sur-mesure. Le service sera tantôt lent, tantôt rapide, et les attentions déployées pourront être ciblées. Par ailleurs, le Luxembourg est très international, et nous devons adapter notre service aux diverses cultures qui y cohabitent.
Le sens de l’accueil est au cœur de mon métier. En mémorisant les habitudes de nos clients nous pouvons les fidéliser. Mémoriser les habitudes de ses clients, c’est entamer avec eux une conversation qui ne prend jamais fin. Chez nous, quand certains habitués arrivent, on sait déjà quel est leur apéritif favori sans qu’ils aient besoin de le demander. On est dans l’anticipation. Il ne faut pas oublier que les clients viennent aussi pour la relation humaine que l’on noue avec eux.
Le métier de Maître d’Hôtel est historique et majoritairement présent dans les grands restaurants. Comment moderniser la profession ?
A mon sens, c’est en humanisant le rôle du Maître d’Hôtel que l’on parvient à lui redonner toute sa valeur. Il y a toujours la rigueur et la discipline, mais en apportant plus d’humanité, plus d’attention, de générosité et de partage, je crois profondément que cela fait la différence. Pour ma part, je ne pourrai pas parler d’un produit sans l’aimer. C’est pourquoi je suis profondément sensible à la cuisine du Chef, qui sublime le produit sans le dénaturer. Le Chef Cyril Molard est proche de ses producteurs et quand ils nous partagent l’amour de leur produit, c’est ce que l’on va aussi, par la suite, transmettre aux clients. En cuisine, on parle toujours de rigueur et de discipline, mais il ne faut pas oublier que c’est avant tout beaucoup d’amour, de partage et de solidarité.
D’ailleurs, les clients sont aujourd’hui en demande de cette relation humaine, ils s’intéressent davantage aux métiers de la restauration, notamment grâce aux émissions télévisées. Nous devons donc nous montrer plus accessibles, nous sommes plus dans l’échange. Pour cette raison, chez nous, les cuisiniers viennent eux-mêmes annoncer certains plats au dîner. Le Chef y tient beaucoup, c’est une manière de remettre le partage et l’humain au cœur de l’assiette et du service.
Quelle femme vous inspire ?
Indéniablement Chantal Wittmann. Être une femme, maître d’hôtel et MOF c’est encore très rare en France. Elle a un parcours exceptionnel et beaucoup de récompenses. C’est une femme remarquable qui m’inspire beaucoup.
En dehors des femmes, il a aussi le Chef Gilles Goujon, qui a été pour moi un véritable modèle en tant qu’entrepreneur. Il a réussi à ouvrir son restaurant et à obtenir ses trois étoiles dans un établissement qui avait déjà connu trois faillites, dans un village de 100 habitants ! En parallèle, il a préparé seul le concours de Meilleur Ouvrier de France, et l’a obtenu.
Une anecdote dont vous vous souviendrez toujours ?
J’ai été très marquée par un petit garçon qui était venu à la Table de Joël Robuchon. Il avait 11 ans et, pour son anniversaire, toute sa famille avait économisé pour lui offrir ce restaurant et avaient fait le déplacement à Paris pour un week-end. Il était un fervent admirateur du Chef, il suivait toutes ses émissions. Ils étaient six à la table. Ce petit garçon était incroyable, il connaissait toute la vie de Monsieur Robuchon, ses établissements dans le monde et le nombre d’étoiles de chaque restaurant. On a tous senti que l’on devait être à la hauteur de ce moment et tout le monde a joué le jeu. On lui a fait visiter les cuisines, les équipes se sont présentées. C’était un moment très important pour lui et sa famille.
Quelles sont vos envies pour la suite ?
J’aimerais beaucoup reprendre mon apprentissage du vin, approfondir encore la sommellerie. Je vais me replonger dans la théorie, reprendre les dégustations avec les producteurs et les vignerons.