Aurélie Collomb-Clerc
« Je veux montrer aux filles que c’est une carrière tout à fait envisageable et réalisable pour elles »
Originaire de Manigod, Aurélie Collomb-Clerc nourrit depuis sa jeunesse une passion pour les plantes endémiques de la région. La cheffe pâtissière du Flocons de Sel puise son inspiration dans une montagne qu’elle veille à préserver, et dont elle sait tirer les vertus. Aux côtés du chef Emmanuel Renaut, elle a trouvé sa juste place.
Cette année, Les Grandes Tables du Monde lui ont décerné le trophée de la meilleure pâtissière, un prix qu’elle a reçu avec cette humilité qui la caractérise.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé mes études de pâtisserie en 2009, au CFA de Groisy en Haute-Savoie. Mon apprentissage s’est fait dans la boulangerie-pâtisserie-chocolaterie de Bruno Bétemps : j’ai passé mon CAP en pâtisserie-chocolaterie, puis j’ai travaillé un an en chocolaterie et confiserie. Par la suite, j’ai complété ma formation avec une mention complémentaire en desserts de restaurant au Château des Avenières, à Cruseilles (Haute-Savoie), aux côtés du chef pâtissier Cédric Perret ; avant de terminer par un BTM pâtissier (Brevet Technique des Métiers), de nouveau chez Bruno Bétemps.
Par la suite, le chef Cédric Perret m’a sollicitée pour être sa sous-cheffe pâtissière. Je suis alors retournée au Château des Avenières. En 2015, coachée par le Meilleur Ouvrier de France Thierry Froissard, j’ai préparé le concours du Championnat de France des Arts Gourmands en glacerie (sculpture sur glace et dessert à l’assiette glacé), et j’ai remporté le premier prix. J’ai finalement intégré les équipes du Flocons de Sel en 2016, d’abord en tant que cheffe de partie. Puis, lorsque la place de chef pâtissier s’est libérée, le chef Emmanuel Renaut m’a fait confiance pour prendre la suite et m’a mise à l’été pendant un an. J’ai ensuite obtenu officiellement le titre de cheffe pâtissière.
Aurélie Collomb-Clerc en 7 dates clés :
- 2009 : CFA de Groisy et apprentissage chez Bruno Bétemps, d’abord avec un CAP pâtissier-chocolatier puis en chocolaterie et confiserie (Grand-Bornand, Haute Savoie)
- Juin 2013 : Mention complémentaire en desserts de restaurant au Château des Avenières, (Cruseilles, Haute-Savoie), aux côtés du chef pâtissier Cédric Perret
- Juin 2015 : BTM pâtissier chez Bruno Bétemps (Grand-Bornand, Haute Savoie)
- Septembre 2015 à Octobre 2016 : Sous-cheffe pâtissière de Cédric Perret au Château des Avenières (Cruseilles, Haute-Savoie)
- Janvier 2015 : Première place au concours du Championnat de France des Arts Gourmands en glacerie
- Depuis Novembre 2016 : Cheffe de partie au Flocons de Sel (Megève, Haute-Savoie)
- 2017 : Cheffe Pâtissière au Flocons de Sel (Megève, Haute-Savoie)
Que signifie ce trophée pour vous ?
C’est tout d’abord une belle reconnaissance. Pour mon parcours bien sûr, mais aussi pour le Flocons de Sel et tout le travail que l’on y fait, nos engagements, nos valeurs. Nous avons la chance de travailler dans un environnement extraordinaire et il est de notre devoir de le préserver. C’est aussi une manière de montrer au chef Renaut qu’il a eu raison de me faire confiance.
Quelle est l’identité de votre pâtisserie ?
Ce sont des créations saisonnières, que je modifie par touches en fonction des produits à disposition. Nous avons beaucoup d’habitués qui apprécient de retrouver leurs desserts. Par exemple, nous avons un soufflé qui évolue toute l’année. En ce moment, il est au sapin avec un sorbet citron et fleur d’oranger. Comme le chef vient de créer sa distillerie, je vais sûrement bientôt y ajouter de la gentiane maison ! Pour le moment, j’utilise de la sapinette, cet alcool de sapin que l’on obtient à partir des bourgeons. Cela donne un côté très doux et résineux à la fois. Je fais aussi du sirop de sapin que j’utilise comme condiment et qui trouve également des échos en cuisine. En faisant macérer les bourgeons de sapin dans le sucre on obtient une texture qui s’apparente à du miel. Le sirop de sapin a aussi des vertus médicinales, notamment pour les problèmes de bronches. Je suis très intéressée par ce lien entre goûts et bienfaits pour le corps. J’ai d’ailleurs fait mon mémoire sur le sujet des vertus de la cuisine de montagne. Utiliser ces plantes requiert bien sûr de solides connaissances en botanique. Par exemple, j’aime beaucoup la reine des prés. Elle est précurseur de l’aspirine, elle soigne beaucoup de maux comme les douleurs articulaires et elle est recommandée pour les problèmes de circulation sanguine. Mais il faut savoir qu’elle peut devenir toxique si on la fait bouillir !
En automne je travaille aussi le cèpe, qui se marie très bien avec la tarte au chocolat fumé.
Au Flocons de Sel, nous avons la chance de bénéficier d’un terroir qui nous offre des produits uniques, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Avec le réchauffement climatique, les plantes sont de plus en plus précoces, et nous devons nous adapter à ce nouveau rythme.
Comment travaillez-vous avec le chef Emmanuel Renaut ?
Nous échangeons nos idées, puis je fais des recherches de mon côté. Je travaille aussi beaucoup avec mon équipe afin que chacun puisse apporter sa touche, son avis.
Je me reconnais totalement dans la cuisine du chef et dans ses valeurs, c’était une évidence pour moi de venir travailler ici. Nous avons tous les deux un style assez raffiné et sobre, et il nous importe de travailler avec les fleurs et plantes sauvages de notre montagne, que nous voulons protéger : nous faisons appel aux producteurs locaux, nous avons nos ruches, nos poules. La cueillette se fait de telle sorte à ce que la plante puisse continuer à pousser, nous veillons toujours à nous servir avec parcimonie. Je pense qu’il faut avoir cette attitude de gratitude et de respect envers notre environnement, et ne pas prendre tout ce que l’on trouve. Avec le chef, nous nourrissons cette philosophie de vivre en harmonie avec le rythme de la montagne. Nous sommes isolés, en plein cœur de la nature, et c’est aussi ce que recherchent nos clients quand ils viennent ici. Ils adhèrent donc complètement à notre état d’esprit.
Quelles sont les femmes qui vous inspirent ?
J’admire beaucoup la cheffe pâtissière Claire Heitzler pour la carrière qu’elle a menée. Une vie de femme et un parcours jusqu’à devenir cheffe pâtissière, ce n’est pas facile à concilier. D’autant qu’elle appartient à la génération précédente où les femmes étaient encore moins médiatisées et reconnues qu’aujourd’hui.
Pareil pour Christelle Brua, quel parcours incroyable ! Elle a d’ailleurs obtenu le même prix que moi il y a quelques années…
Quelles difficultés avez-vous surmontées pendant votre parcours ?
En tant que femme, j’ai toujours dû prouver que j’étais légitime dans mon poste. Lorsque j’ai été cheffe pour la première fois, je dirigeais principalement des hommes. Il fallait que je fasse mes preuves, mais j’étais déterminée et j’ai travaillé d’autant plus pour montrer que j’étais bien à ma place.
Malgré les évolutions et les progrès, le métier reste encore assez machiste. Le fait que le chef me fasse confiance m’a aussi aidée dans ce processus de légitimité. Cela ne m’empêche pas, aujourd’hui, de continuer à me remettre beaucoup en question, c’est ma façon d’avancer. Pour moi, j’ai toujours quelque chose à prouver.
Il est vrai que les femmes sont majoritaires en pâtisserie. Et pourtant, elles sont rarement cheffes. Parce qu’à partir d’un certain niveau, le métier est difficilement conciliable avec une vie de famille, à laquelle elles aspirent également. Au Flocons de Sel, nous avons plusieurs femmes responsables de secteur. Le chef rend cela possible, il est très ouvert et n’hésite pas à aménager les horaires quand cela est nécessaire pour certaines d’entre nous.
J’ai beaucoup de respect pour les femmes qui arrivent à gérer toute cette pression, cela demande beaucoup d’organisation et constitue une charge mentale supplémentaire.
Pour ma part, je manage cinq pâtissiers, et nous avons aussi dans l’équipe deux boulangers. Il faut apprendre à s’adapter aux équipes et au profil de chacun et, dans ce travail, j’ai la chance d’être coachée par une femme.
Quels sont vos projets ?
Nous avons encore beaucoup de projets à mener à bien avec le chef. Je suis très exigeante envers moi-même, donc je souhaite encore progresser et m’approcher le plus possible de la perfection. Je veux continuer à faire grandir mon équipe, leur donner plus de responsabilités. En ce moment, j’encourage un d’entre eux à se présenter au concours de Pierre Hermé, sur le thème de la tarte au chocolat Chartreuse. J’ai été très bien accompagnée lorsque j’ai présenté mes concours, et maintenant c’est à mon tour de rendre la pareille.
Le trophée des Grandes Tables du Monde va me permettre de continuer à faire rayonner les valeurs que je porte, et je veux en ce sens profiter de ma visibilité. Je suis présente dans mon CFA où je suis notamment juré pour les examens. C’est important parce que je sais que cela fait grandir de rencontrer des professionnels pendant ses études. Les jeunes sont notre futur et je veux montrer aux filles que c’est une carrière tout à fait envisageable et réalisable pour elles. Je veux leur donner envie de faire ce métier, d’autant que l’on est en manque de main d’œuvre. Trop souvent encore on considère que les métiers manuels sont moins bien or, pour ma part, je n’ai jamais été aussi épanouie.