CLAIRE SONNET

« Une équipe de restaurant ne doit faire qu’un »

En janvier, Claire Sonnet, nouvelle directrice de salle du Louis XV – Alain Ducasse à l’Hôtel de Paris, était nommée ambassadrice du programme
« Femmes en Vue », lancé par l’association Les Grandes Tables Du Monde. L’occasion pour nous de revenir sur son parcours – exceptionnel – et sa pratique – éminemment humaine.

Elle est aujourd’hui directrice de salle de l’un des plus prestigieux restaurants du monde. Pourtant, rien ne la prédestinait à l’univers de la haute gastronomie. C’est lors de ses études de psychologie que Claire Sonnet découvre le service, à travers un emploi étudiant qui va se révéler fondateur. Elle y rencontre Monsieur Angelo, un maître d’hôtel, à la fois chef d’orchestre et acteur enjoué d’un métier tourné vers l’autre, qui lui transmettra, au delà des gestes, une passion pour le service. Sa licence de psychologie en poche, elle intègre donc l’école Ferrandi puis les équipes des plus prestigieuses adresses françaises. Du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée auprès de Denis Courtiade, à la réouverture de l’Hôtel de Crillon en 2017, ou elle tiendra pour la première fois un poste de directrice de salle, Claire Sonnet n’a eu de cesse d’apprendre, mais surtout de transmettre cette passion des métiers de salle. Entretien.

© Pierre Monetta

Quels sont pour vous les éléments nécessaires pour s’épanouir et progresser dans les métiers de salle aujourd’hui ?

Avant toute chose, et sans secret il faut aimer l’humain, il faut avoir envie de recevoir et de partager. L’humilité est également très importante, et cela m’a réellement marqué au restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée : lorsque les portes s’ouvrent, la hiérarchie s’efface, nous sommes tous là pour et au service du client.

L’autre élément essentiel est bien sûr la transmission, entre le chef et les clients d’une part car nous en sommes les messagers, mais aussi et surtout entre tous les collaborateurs. Une équipe de restaurant ne doit faire qu’un : on aime souvent dire que nous sommes une chaîne. Chaque médaillon a de l’importance et un rôle à jouer ; il faut donc pouvoir transmettre sa passion. Et cette transmission ne se fait pas sans empathie et sans être capable de percevoir les attentes des personnes que nous avons en face.

« C’est en restant unis que nous faisons la force du message et que nous pouvons aller au delà des attentes du client. »

Parcours de Claire Sonnet

  • 2002-2005 : Job étudiant pendant ses études de psychologie dans une brasserie de luxe et rencontre avec Monsieur Angelo.
  • 2008-2011 : Découverte de nouvelles pratiques et d’une autre vision de la gastronomie française en vivant en Angleterre et en Espagne.
  • 2011-2017 : Le restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée : du stage de fin d’étude à la rencontre avec Denis Courtiade, et la découverte de l’univers de la haute gastronomie.
  • 9 mai 2017- 5 décembre 2018 : Directrice du restaurant gastronomique l’Ecrin de l’Hôtel de Crillon, animé par le chef Christopher Hache.
  • Depuis le 17 décembre 2018 : elle rejoint la Principauté de Monaco et le restaurant Le Louis XV – Alain Ducasse à l’Hôtel de Paris

Vous êtes en charge du sujet de la valorisation de la place des femmes pour l’association Ô Service – des Talents de demain, quelles sont les grandes lignes de ce programme ?

L’association vise avant tout à promouvoir les métiers de salle, car ce sont des univers qui nous animent, nous émerveillent. À travers différentes initiatives telles que des rencontres, colloques, concours etc. nous souhaitons, à notre tour, partager cette passion que des femmes et des hommes nous ont si généreusement transmise.

Sur le sujet de la valorisation des femmes en particulier, nous essayons d’être en contact les unes avec les autres, pas forcément dans un contexte de girl gang, mais simplement dans l’idée de montrer que les femmes sont là. Avec Elsa Jeanvoine (gagnante du 1er Trophée du Maître d’Hôtel) par exemple, nous réfléchissons à plusieurs actions : interventions sur des concours, participations dans des jurys mais également ouvrir les portes de nos établissements pour faire découvrir ces univers exceptionnels vers lesquels parfois certains jeunes n’ont pas l’instinct d’aller, par timidité ou parce qu’ils n’osent pas. C’est à nous de leur montrer qu’avec suffisamment de passion et d’envie ces univers deviennent accessibles.

Au cours de votre parcours, avez-vous eu l’occasion de collaborer avec beaucoup de femmes ?

J’ai vu une réelle évolution entre mes premiers stages, le moment où je suis partie à l’étranger, et lorsque je suis revenue. À ce moment les esprits ont commencé à s’ouvrir, et depuis, nous sommes de plus en plus nombreuses. Ce qui est une très grande force car je suis convaincue que tous, hommes et femmes, ont leur place dans nos métiers. Après, bien sûr, pour le moment il y a certainement plus d’hommes sur le marché, nous recevons plus de CV masculins, mais c’est la société actuelle qui est comme cela, d’où l’importance des programmes de valorisation des femmes justement.

Avez-vous l’impression que l’augmentation de la présence des femmes dans les métiers de bouche ces dernières années joue une influence positive sur la gastronomie ?

Nous sommes dans un métier d’hommes avec un grand H, c’est l’humain qui compte avant toute chose. Donc oui, c’est très important et bénéfique que les femmes soient de plus en plus présentes dans ces métiers et dans nos équipes et il faut bien sûr les mettre en avant, mais il faut surtout mettre en avant des talents.
Avec Jessica Préalpato nous nous retrouvons sur la question : nous ne voulons pas de traitement de faveur parce que nous sommes des femmes ; il faut faire sa place et se faire respecter par la manière dont on est et par les valeurs que l’on a.

« Il faut mettre en avant les personnalités et les forces de chacun »

et c’est pour cela que je n’irai pas non plus dans la recherche d’un équilibre parfait. Il faut de tout, des identités, des personnalités différentes car en face de nous se trouvent des personnes différentes. Notre rôle est d’harmoniser, d’avoir le bon ressenti face au client et de se dire, là, ça fonctionnera avec telle ou telle personne.

Vous parlez de bienveillance, d’humanité, de transmission comme fondamentaux à votre métier. Pensez-vous que ces valeurs permettent de tendre vers plus d’égalité au sein des métiers de bouche ? Ou pensez-vous qu’il faille parfois jouer des coudes ?

Bien sûr il faut parfois jouer des coudes et savoir s’imposer, mais tout est une question de respect, de transparence et d’honnêteté. Je me souviens d’un entretien avec Denis Courtiade, pendant lequel il m’a dit «  tu peux être une excellente numéro deux, et c’est ton choix ou tu peux être numéro un. Si tu veux être numéro un, viens, si tu n’en as pas envie, ce n’est pas la peine. »

J’ai également toujours en tête cette autre phrase de lui « l’équipe est à l’image du manager. Si le manager ne va pas bien, l’équipe ira mal aussi ». Nous avons tous besoin d’un moteur et d’une énergie postivie. C’est difficile parfois de délivrer toutes les valeurs, tous les messages, de tout donner face à un client que l’on ne connait pas. Le développement des personnalités, le lien humain est donc extrêmement important.

On fait quoi pour que ce soit mieux demain ?

Un restaurant c’est une équipe, une seule et même équipe au service d’un client. On ne fait qu’un et chaque partie doit évoluer dans ce sens. Il faut mettre en lumière tous les profils et instaurer une équité au sein de ces métiers, se solidariser. Le lien fera la force.