Fanny Perrot
« J’aime rendre le client heureux, qu’il se détende et se sente unique. »
Il est tôt, elle a préféré que nous échangions pendant son jour de repos pour ne pas déranger le service, la saison estivale s’achève, elle n’a pas compté ses heures… Pourtant Fanny Perrot est là, à l’heure convenue et elle a préparé l’entretien.
Le sourire est sincère, le regard droit et franc, la posture élégante, la directrice de salle du chef Yoann Conte est une jeune femme sérieuse, humble, courageuse, chaleureuse et déterminée. Un modèle inspirant, à n’en pas douter.
Comment devient-on si jeune directrice de salle d’un restaurant doublement étoilé ?
Depuis que j’ai 6 ans, je veux faire ce métier. Mes parents nous ont élevés, mes frères et moi, dans la culture de l’effort et de la passion. Nous avions chacun une activité extra-scolaire, pour moi, c’était le piano. Grâce à cet apprentissage exigeant, j’ai appris la patience, la rigueur et surtout le goût de l’effort. Mon père, éleveur bio de vaches laitières dans le Doubs, nous a transmis l’amour du bon produit, des beaux comme des moins beaux morceaux.
Nous n’avions pas la culture du restaurant. La vie à la ferme et le manque de moyens faisaient que chaque repas au restaurant était une fête, et moi, tout particulièrement, j’étais aux anges. Mais c’est en allant de temps en temps dans un salon de thé avec ma mère – une parenthèse enchantée mère/fille – qu’est née ma vocation. Je voulais partager ce sentiment au combien agréable d’être privilégiée, de se faire servir, de vivre un moment gourmand hors du temps autour de bonnes choses. Je suis animée par le plaisir de voir les gens s’émerveiller en goûtant un plat. Je n’ai pas changé d’avis tout au long de ma scolarité et me suis naturellement orientée vers un BAC technologique Hôtellerie restauration au sein duquel j’ai tout autant étudié le service que la cuisine, la mixologie, la sommellerie ou encore l’hébergement. Cette formation globale me sert encore aujourd’hui. Je l’ai complétée d’un BTS Hôtellerie restauration et d’une licence en management afin d’apprendre à gérer une équipe.
À ce moment-là, je me suis sentie prête à rentrer pleinement dans le monde du travail et j’ai commencé les saisons. Après quelques stages, j’étais si heureuse de me confronter aux réalités du métier. J’en garde un souvenir exalté. Au fur et à mesure de mes expériences, j’ai acquis plus d’autonomie et d’aisance. Jusqu’à mon arrivée au 1920 du Chalet du Mont d’Arbois en tant que demi-cheffe de rang sous les ordres du maître d’hôtel Olivier Alglave.
Parcours de Fanny Perrot :
- Juillet 2014 : finit ses études avec l’obtention d’une licence en management
- Hiver 2014-2015 : commence les saisons au restaurant Au cœur du village à la Clusaz
- Hiver 2015-2016 : travaille au 1920 du Chalet du Mont d’Arbois, restaurant étoilé, et rencontre avec Olivier Alglave
- Mai 2017 : cheffe de rang chez Yoann Conte pour la saison
- Mars 2018 : devient directrice de salle de Yoann Conte
Septembre 2018 : reçoit le prix Gault et Millau de la Meilleure jeune directrice de salle de l’année - Printemps 2021 : sélectionnée avec cinq autres directeurs et directrices de salle pour le prix de la salle du Chef Magazine
En quoi votre rencontre avec Olivier Alglave a-t-elle été déterminante ?
J’ai vraiment tout appris à Megève auprès de lui : le service à la française très strict, les découpes en salle, le soin porté à l’argenterie, la façon dont il fallait s’adresser aux clients et surtout la gestion de la pression et du stress. Chaque acte était encadré, tout était parfaitement organisé. Olivier Alglave était dans la transmission, il formait et, en échange, exigeait un travail parfait.
Ce fut dur aussi bien physiquement – énormément d’heures travaillées, une grande fatigue – que psychologiquement – nous repoussions sans cesse nos limites. Néanmoins, ma passion du métier ne s’est pas altérée, bien au contraire puisqu’après un passage dans le nord de l’Angleterre pour parfaire mon anglais, je suis retournée au 1920 du Chalet du Mont d’Arbois, mais cette fois, en parfaite connaissance de cause, comme une guerrière. Grâce à la bonne ambiance qui régnait dans l’équipe, j’ai donné le meilleur de moi-même et résisté aux méthodes de management à l’ancienne, à la mise en compétition permanente. Ainsi, j’ai compris qu’il fallait faire différemment pour ne pas abîmer les gens.
Quelles sont les clés d’un management efficace ?
Je veux participer à l’évolution de ce métier. Les jeunes fuient aujourd’hui l’univers de la gastronomie pour plusieurs raisons : des journées trop chargées, un salaire inadapté et des conditions de travail beaucoup trop militaires et inhumaines. Il est possible de travailler dans la rigueur et la précision en évitant les cris, les humiliations et la souffrance. Un environnement sain, compréhensif et adapté à la personnalité de chacun offre un équilibre beaucoup plus efficace et pérenne. Rien n’est plus constructif que de montrer l’exemple. C’est ce que j’ai trouvé en poussant la porte de la Maison Bleue.
Le réseau aide énormément dans nos métiers, il est primordial. Le chef Julien Gasten m’avait conseillé d’aller chez Yoann Conte, « une maison qui bouge », et m’y a introduite. Je suis donc entrée chez Yoann Conte en tant que cheffe de rang pour la saison estivale à la fin de laquelle le chef m’a proposé un CDI, un logement, un bon salaire et des perspectives d’évolution dans une ville agréable et une maison familiale, humaine. Toutes les promesses ont été tenues et je suis rapidement devenue assistante maître d’hôtel, puis propulsée maître d’hôtel à la faveur d’un départ précipité. Je doutais beaucoup, je n’étais pas prête pour autant de responsabilités si rapidement. Mon premier briefing avant le service devant 15 personnes m’a donné des sueurs froides ; mais je connaissais bien la maison et nous avons travaillé ensemble avec Madame Conte. J’ai pris confiance et nous avons réussi. À tel point qu’à la fin de l’été, j’apprends que Gault & Millau veut me décerner le prix de la Meilleure jeune directrice de salle de l’année. Je ne savais même pas que ce prix existait, ce fut une immense joie !
Quel impact cette reconnaissance de vos pairs a-t-elle eu sur votre vie, professionnelle et personnelle ?
Après seulement quelques mois à ce poste, je n’en revenais pas. Nous avons fêté l’événement avec les équipes, nous avons même pleuré ! Partager ce bonheur avec des personnes qu’on aime, avec un couple de chefs présents et respectueux restera un moment important de ma vie professionnelle. Grâce à ce prix, j’ai gagné en confiance, en légitimité, en respect de la part des clients comme des personnes avec qui je travaille tous les jours. Mon sentiment d’avancer dans la bonne direction s’est confirmé. J’ai compris que tout était réellement possible, cette reconnaissance m’a donné encore plus de force pour continuer. Chez Yoann Conte, j’ai pu imposer ma façon de travailler, j’ai eu l’espace pour mettre en place tout ce qui me semblait juste. Mais je n’ai fait que mon travail. Notre service est très proche de la clientèle, le chef tourne régulièrement en salle. On apprend tous les jours et je ne me lasse pas du spectacle qu’offre des clients qui se régalent. Leurs commentaires joyeux, leur étonnement, leur plaisir me font vibrer au quotidien. J’aime rendre le client heureux, qu’il se sente unique. Le restaurant est une bulle de bien-être loin du monde agité et cruel, les clients en sortent détendus, souriants, le temps d’une parenthèse.
Que pensez-vous de la place de la femme dans l’univers de la gastronomie ?
Les femmes doivent s’imposer davantage, faire leurs preuves, se justifier. Nous sommes plus dans la discussion, l’échange. Le métier a toujours été ouvert aux femmes mais difficile d’accès pour des raisons de pudeur essentiellement. Les hommes dominaient. C’est désormais différent. D’ailleurs, chez Yoann Conte, il n’y a presque que des femmes. Tous les jours, des clients remarquent et apprécient cette large présence féminine. Le feraient-ils à l’inverse s’il n’y avait que des hommes ? Globalement, il faut avoir beaucoup de caractère et l’affirmer pour réussir à s’épanouir dans la gastronomie.
Selon vous, quels seront les grands enjeux du restaurant de demain ?
La principale préoccupation sera l’aménagement du temps de travail. La nouvelle génération qui a, en plus, vécu le COVID n’a pas envie de s’engager dans des métiers trop durs ou s’en est détournée. Les salaires ne sont pas proportionnels à l’investissement exigé. Au final, le métier n’est pas assez valorisé, il est déserté. Un grand nombre d’établissements gastronomiques en France manque aujourd’hui cruellement de personnel. Très peu de candidatures et beaucoup de personnes peu fiables qui partent du jour au lendemain. C’est un grand problème.
Comment vous imaginez-vous dans quelques années ?
Peut-être que je pourrai ouvrir un lieu – restaurant, salon de thé ou autre – dans lequel nous, mon compagnon, le chef pâtissier de Yoann Conte, et moi, tout comme les équipes et les clients, nous sentirions tout simplement bien ? J’aimerais beaucoup. Les idées et les envies se bousculent. Et puis, un jour, j’aurai des enfants… Allier vie de famille et travail, faire de ma passion une activité plaisante au quotidien, c’est mon rêve. Je sais que ce ne sera pas facile, j’espère que nous arriverons, ensemble, à nous organiser car, heureusement, les enfants ne sont plus uniquement l’affaire des femmes.