Hommage à Michel Guérard

Michel Guérard, légendaire chef français et père fondateur de la Nouvelle Cuisine s’est éteint à l’âge de 91 ans, laissant derrière lui un héritage culinaire incommensurable. 

Fils de bouchers, c’est en tant qu’apprenti-pâtissier que Michel Guérard débute sa carrière à 14 ans. Rapidement reconnu pour son talent exceptionnel, il devient Meilleur Ouvrier de France en 1958. Sa passion pour la cuisine n’avait d’égal que son dynamisme et sa capacité à célébrer la vie. 

C’est sûrement ce feu qui l’a toujours animé qui lui fit rejoindre les cuisines du Lido, du Maxim’s, de La Pérouse puis l’incite à accompagner la célèbre Régine dans l’ouverture de son cabaret russe. Il y rencontre Christine et ensemble, ils écrivent le premier chapitre de ce qui est aujourd’hui une saga gastronomique et thermale, une histoire de famille et de bonheur.

En 1965, Michel ouvre ainsi son premier restaurant, Le Pot-au-Feu, près de Paris, où il commence à marquer de son empreinte la scène gastronomique. Mais c’est en 1974, avec son déménagement à Eugénie-les-Bains et l’ouverture des Prés d’Eugénie, que sa carrière prend un tournant décisif. 

Il y développe une cuisine révolutionnaire qui marie la haute gastronomie avec des principes diététiques. Ce concept novateur prône des plats légers mais savoureux, comme son célèbre sorbet au pamplemousse ou encore son œuf poule au caviar, prouvant que gourmandise, gastronomie et santé pouvaient s’accorder divinement.

Sous son égide, Les Prés d’Eugénie obtiennent trois étoiles Michelin en 1977, qu’ils conservent jusqu’à aujourd’hui. Toujours fidèle à son approche avant-gardiste, Michel Guérard a également fondé une école de cuisine dédiée à la promotion d’une alimentation saine, tout en écrivant plusieurs ouvrages qui sont devenus des références, tels que « La Grande Cuisine Minceur »​.

Michel Guérard n’a jamais cessé d’innover et de remettre en question les conventions culinaires. Pour les membres des Grandes Tables du Monde, il symbolisait une vision de la gastronomie ancrée dans la tradition, mais résolument tournée vers l’avenir. Son travail a non seulement redéfini ce que pouvait être une cuisine saine, mais a aussi inspiré des générations de chefs à travers le monde. 

Michel Guérard restera une figure incontournable de la gastronomie mondiale, un modèle d’excellence et d’innovation. Son passage marque une ère, et son esprit continuera à influencer l’art culinaire pour les générations de restaurateurs à venir​.

Michel, pour vos 90 ans, nous avons du réfléchir à ce que l’on pouvait bien vous offrir. Sondant les autres membres de l’association, vos pairs et amis, tous soulignaient votre voix, votre langue culinaire si singulière tant elle mêlait une dimension artistique (tout cet art gastronomique qui vous est propre – pas de passé à employer, votre art est éternel) et cette réflexion pratique des contraintes thermales et de santé. Cette dualité qui ne faisait qu’une parole, la vôtre, et qui aujourd’hui continue de former, faire réfléchir et guider des générations de cuisiniers et restaurateurs. 

Lors de notre visite, nous vous avions donc remis les oeuvres poétiques d’Yves Bonnefoy. Entre essayiste et poète, il utilisait sa plume comme vous votre couteau pour écrire un art pertinent, inspirant et beau. Une passerelle qui nous faisait sens pour l’érudit que vous étiez.

Parce que plus que jamais vos mots, tout autant que votre hospitalité, font sens, nous nous permettons de rappeler ce discours essentiel que vous nous aviez conté. 

“ Si vous avez un jour le privilège d’avoir à créer ou de participer à la création d’un hôtel, d’un restaurant, alors n’hésitez pas un seul instant, soyez fou, insatiable, rêvez-le cet hôtel, de ce restaurant, ce « Palais des Plaisirs », dans la différence, dans la distinction, dans la fantaisie créatrice, refusant toute concession à tel ou tel courant qui le rendrait vite ennuyeux, obsolète et, par là-même, de consommation ordinaire.

Marquez-le profondément à l’ADN de vos rêves pour qu’il résiste bien au temps. Et pendant que vous y êtes, et parce qu’un restaurant est, en quelque sorte, un théâtre, profitez-en, par exemple, pour rêver le service autrement, osez le sortir de ses rails, de son classicisme formaté et, si vous jugez qu’il traîne un peu trop les pieds, inventez-lui une nouvelle scénographie, dans laquelle ses acteurs pourront évoluer tout naturellement avec une élégante assurance, une aisance jubilatoire, tels des comédiens sortis de « l’Actors Studio ».

Quant à la cuisine, une des pièces maîtresses de l’édifice, fuyez, d’emblée, celle artificielle aux effets de manches, archi-plagiée. Ne vivez jamais avec la pensée des autres, évitez-vous le ridicule de la plagier à votre tour.

Rêvez la vôtre, elle gagnera en supplément d’âme. Il n’y a qu’un souffle entre le rêve d’un mets et le geste qui lui donne vie. En cuisine, la main est la baguette magique du rêve.

(…)

Tout au bout, après l’effervescence et le tumulte, il y a comme une grande sensation de calme, de paix et de profond bonheur. Et le bonheur, tout compte fait, ce ne sont que quelques gouttelettes de rêve avec lesquelles on s’asperge chaque matin… à condition, bien sûr, d’en avoir toujours un flacon sur soi…  “

Reposez en paix, cher Michel, retrouvez votre Christine et merci pour tout ce que vous nous avez apporté. Toutes nos pensées vont vers Eléonore et Adeline. Si nous ne pouvions qu’être admiratifs de la vision et du talent du quatuor Guérard, nous sommes assurés de voir grandir et évoluer votre philosophie entre les mains brillantes de vos filles. 

Avec tout notre respect et notre amitié, 

David Sinapian pour le Conseil d’administration et l’équipe Les Grandes Tables du Monde