Lindsey Fern
« Quand je pense à la façon dont je veux être considérée dans ma carrière, c’est pour être aussi généreuse qu’on l’a été à mon égard, et aider à créer des opportunités pour les femmes dans le vin »
D’où vient votre intérêt pour le vin ?
J’ai commencé à voyager en Europe après l’université. A 21 ans, je ne connaissais rien au vin. Mais dans les années 90, une carafe de vin n’était pas bien plus chère qu’une bouteille d’eau, alors j’ai commandé le vin ! Je faisais du backpacking, et ma curiosité a été piquée. J’ai passé 3 ans à l’étranger et, quand je suis partie en Afrique du Sud, j’ai fait ma première visite de vignoble à Stellenbosch. Le temps passé en Europe, mes précédents jobs en restauration, ma passion pour le voyage… tout cela était à son apogée à ce moment de ma vie. J’ai compris que le vin c’était l’agriculture, l’histoire, la science, l’art, la géographie, et même le langage. Je savais qu’entreprendre une carrière dans le vin me permettrait de continuer à apprendre les choses que j’aime, et cela sera toujours pour moi une cible mouvante. Le vin c’est le voyage et le changement permanent.
Quand je suis rentrée aux Etats-Unis, j’ai atterri en Californie du Nord et j’ai travaillé dans la baie de San Francisco. La plupart de mon temps libre, je le passais à Napa et à Sonoma. Plus j’apprenais et plus je réalisais que je ne savais rien. J’ai eu différents jobs dans le secteur : dans des restaurants, des pubs, des clubs, de Londres à la Grèce en passant par l’Espagne. C’était à chaque fois des expériences très différentes et enrichissantes, mais c’est le vin qui est vraiment devenu ma passion.
Lindsey Fern en 9 dates clés
- 2000-2004 : Manager à l’Avenir Restaurant Group (Redwood City, California, US)
- 2004-2008 : Responsable vins au restaurant Smith and Wollensky (NYC)
- 2008-2009 : Consultante oenologue et Sommelière pour la National Distributing Company
- 2010-2012 : Consultante oenologue et Bartender à l’Atlantica Restaurant (Cohasset, Massachusetts, US)
- 2012-2014 : Bartender et Sommelière au Bistro L’Hermitage (Woodbridge, Virginia, US)
- 2014-2020 : Maître de cave et Sommelière au restaurant The Inn*** at Little Washington (Washington, Virginia, US)
- 2020 : Directrice des ventes au RdV Vineyards (Delaplane, Virginia, US)
- 2020-2021 : Assistante Cheffe Sommelière au restaurant The Inn*** at Little Washington (Washington, Virginia, US)
- Depuis 2021 : Cheffe Sommelière au restaurant The Inn*** at Little Washington (Washington, Virginia, US)
Vous étiez cheffe de cave au Little Washington pendant 5 ans jusqu’en 2020. Pourquoi avez-vous choisi de revenir ?
J’ai débuté au Little en tant que cheffe de cave et, à l’époque, il n’y avait pas d’opportunité pour évoluer au sein de la maison. J’ai alors été recrutée par une cave locale, pour prendre la tête de leur réseau de distribution nationale. Mais en raison de la crise sanitaire, cela n’a pas abouti. Après quelques mois, j’ai réalisé que le travail que je faisais au Little me manquait terriblement et j’ai décidé de revenir.
En travaillant tous ensemble dans un restaurant, on devient comme une grande famille. Souvent, nous passons même plus de temps les uns avec les autres qu’avec notre propre famille. On m’a proposé un poste de chef sommelier adjoint et, dans cette période si étrange, avec le Covid qui faisait des ravages dans notre secteur, j’ai eu le sentiment de rentrer chez moi.
De quelle manière la cuisine du Chef fait écho à vos valeurs ?
Le Chef Patrick O’Connells crée au restaurant The Inn*** des plats spectaculaires. Il a un style très raffiné, chaque élément de l’assiette est travaillé pour qu’ils se répondent entre eux. C’est magnifique et parfois discret. Sa cuisine est fantaisiste et raconte toujours une histoire, sans pour autant se précipiter ou le crier sur les toits. C’est de là qu’elle tire sa majesté. Une cuisine raffinée mais jamais ostentatoire. J’aime le fait que l’on puisse avoir cette notion d’exigence, et en même temps s’amuser.
Pendant votre parcours, quelles femmes vous ont inspirées ?
Je n’ai jamais travaillé dans un restaurant avec une autre femme sommelière. C’était toujours des hommes, donc je dois dire que j’ai plus été inspirée par des femmes fortes qui ont fait des pieds et des mains pour m’aider. Des femmes qui m’ont donné des opportunités, qui ont formé mon parcours professionnel et qui ont changé ma trajectoire de vie.
Ma première boss femme en Californie, Morgane Plant, est une femme d’affaires remarquable. Elle était passionnée par le vin et la gastronomie. Mais elle ne perdait jamais de vue l’angle business et elle était très respectée. La rencontrer a été pour moi un véritable déclic. Elle m’a pris sous son aile, elle m’a emmenée dans des restaurants étoilés et dans des vignobles, et a guidé ces expériences. Elle me demandait mon avis et partageait avec moi ses opinions. Elle m’a valorisée et responsabilisée.
Il y a eu Elli Benchimol, qui était aussi mère célibataire et Sommelière. Elle m’a invitée chez elle pour des dégustations à l’aveugle et elle s’est démenée pour m’aider lorsque je préparais mon examen de Sommelier Avancé. Elle travaillait à plein temps, essayait d’ouvrir son propre restaurant, élevait ses deux enfants et préparait en même temps l’examen de Maître Sommelier – et pourtant elle a fait de la place dans sa vie pour m’aider.
Sabrina Schatz m’a introduite à des gens influents dans le monde du vin qui m’ont emmenée dans des voyages viticoles. Grâce à ces présentations je suis partie en Italie, en Argentine et à Santa Barbara pour approfondir mes connaissances.
Quand je pense à la manière dont je veux être considérée dans ma carrière, c’est pour être aussi généreuse qu’on l’a été à mon égard, et aider à créer des opportunités pour les femmes dans le vin.
Vous êtes la seule femme cheffe sommelière d’un restaurant trois étoiles aux Etats-Unis. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
A la fois j’en suis très heureuse car cela donne de la visibilité aux femmes dans le métier, et cela permet d’en inspirer certaines. C’est aussi une satisfaction personnelle car j’ai sacrifié beaucoup de temps familial, notamment avec mes deux filles, pour réussir dans ma carrière. C’était donc d’autant plus important pour moi d’obtenir cette reconnaissance.
D’un autre côté, j’ai conscience que beaucoup d’autres femmes travaillent aussi dur que moi chaque jour, et qu’elles n’ont pas moins de mérite. Du reste, cela permet de montrer que cela est possible, pour les femmes, de réussir dans leur carrière tout en ayant une famille.
The Inn a reçu le Wine Spectator’s Grand Award. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de ce prix ?
Le Wine Spectator’s Grand Award est le plus prestigieux honneur donné aux programmes de vin d’élite du monde. The Inn*** a reçu le prix en 1995. Notre carte des vins recense en effet plus de 14 000 bouteilles différentes, dont certaines que l’on voit très peu ailleurs aux Etats-Unis. C’est une cave immense, nous travaillons avec 2000 producteurs différents. Cela fait 43 ans que la carte des vins existe, elle s’est construite petit à petit, chaque sommelier y a apporté sa touche. Et maintenant c’est à mon tour d’apporter ma pierre à l’édifice. Je suis très heureuse de pouvoir ainsi partager mes expériences et mes voyages avec les convives qui viennent dîner chez nous.
Votre cave est composée de 14 000 bouteilles des meilleures régions de vin du monde. Mais vous travaillez aussi beaucoup au niveau local. Comment construisez-vous la carte des vins ?
Les convives que nous recevons pour dîner au restaurant The Inn*** viennent afin d’expérimenter la gastronomie du Chef et, pour l’accompagner, ils s’attendent à des vins plutôt classiques. Donc nous avons de grands intemporels tels que des Bordeaux et des Bourgogne.
Lors de mes voyages en Argentine, au Chili, ou encore en Toscane, j’ai pu aller à la rencontre de nouveaux producteurs, me familiariser avec leur philosophie et leurs méthodes. Aujourd’hui j’arrive donc à apporter cette vision internationale à la carte des vins.
La Virginie produit aussi de très bons vins. La qualité du vin local s’est beaucoup améliorée grâce aux échanges et aux partages des techniques. La Virginie a vu une significative expansion de la culture de ses vins et, au restaurant The Inn***, nous voulons être la vitrine du meilleur de la région avec les producteurs locaux.
Le prix Governor’s Cup récompense les meilleurs vins de Virginie. Cette année, c’est la productrice Melanie Natoli du Domaine Cana qui a été lauréate. C’est la première fois depuis 40 ans que le prix revient à une femme. Elle est la partenaire de notre maître de chai, qui aime aussi mettre en avant les producteurs locaux auprès de nos invités.
Comment construisez-vous les accords mets et vins avec le Chef Patrick O’Connell’ ?
Il faut savoir que le Chef nous donne beaucoup de liberté car il est très concentré sur l’assiette. Nous nous devons donc d’être force de proposition, nous parlons ensemble des différents profils aromatiques présents dans les plats… Aujourd’hui je suis assez familière de sa cuisine, j’aime à la fois jouer sur les contrastes qu’il peut y avoir entre les saveurs d’un vin et d’un plat ; mais aussi parfois souligner les saveurs du plat avec des notes herbacées ou fruitées.
Dans beaucoup de restaurants, différents choix de vins sont proposés sur un plat. Au restaurant The Inn***, nous avons décidé de n’en proposer qu’un seul. Car c’est un accord qui a été très travaillé et spécialement pensé pour que les saveurs se répondent. C’est pour nous un vrai gage de qualité. Dans l’accord, le vin et le plat se mettent mutuellement en valeur.
Si vous deviez emporter une seule bouteille sur une île déserte, quelle serait-elle ?
Du Champagne ou du Bourgogne… Je pencherai plus pour du Champagne ! Et plus spécifiquement un cru 2002 Clos du Mesnil. Les bulles me rendent joyeuse et c’est un Champagne qui, en vieillissant, acquiert des notes tertiaires de caramel et de noisette, un équilibre entre le fruit et l’acidité… une véritable perfection !
Quels sont vos projets ?
Nous avons maintenant un deuxième restaurant, plus orienté bistro, de l’autre côté de la rue. La proposition est toute autre, donc c’est très intéressant. La carte des vins se doit d’être plus restreinte, avec des vins faciles à boire mais tout aussi délicieux. Je peux m’amuser avec les sélections. Nous réalisons par ailleurs l’extension de la cave du Inn*** pour en faire une cave d’exposition avec une table privée pour les dîners. Nous avons beaucoup de projets, c’est une belle dynamique qui se dessine en ce moment.