Douce Steiner
« Nous travaillons dans le respect absolu des uns et des autres. Et les résultats sont au rendez-vous. »
« Bien manger, bien boire, c’est mon héritage, un besoin, une éducation. »
Douce Steiner a grandi dans le restaurant de son père Hans-Paul Steiner : l’hôtel restaurant Hirschen dans la petite ville de Sulzburg, en bordure de la Forêt-Noire. À 8 ans, elle veut déjà être cuisinière. Malgré son goût pour la danse et l’art, elle arrête l’école à 16 ans et fait un stage de six semaines dans la maison familiale, non pas en tant que « fille de », plutôt comme une très jeune apprentie qui touche à toutes les tâches, même les plus ingrates. Coup de foudre, Douce a trouvé sa vocation et son moyen d’expression : elle sera cheffe.
L’ouverture aux autres, l’ouverture au monde fait également partie de l’héritage familial. Quand ils ne travaillent pas, les Steiner écument les tables étoilées et, chaque année, pour l’anniversaire de Hans-Paul, ils se rendent chez Georges Blanc.
Douce rêve de faire carrière en France, alors, après un voyage de plus de deux mois au Mexique en solitaire (et en sac à dos !), elle complète son apprentissage chez Georges Blanc qui l’accueille les bras ouverts malgré son jeune âge (elle n’a que 19 ans), malgré son sexe (elle est la seule femme parmi quarante-cinq cuisiniers) et malgré sa nationalité (être allemande en France en 1990 est encore une singularité qu’il faut courageusement assumer).
Parcours de Douce Steiner :
- 1988 : École de langue à Oxford
- 1989 : Apprentissage au restaurant familial
- 1991 : Cuisinière chez Georges Blanc
- 1992-1994 : Travaille auprès du Chef Schilling au Schweizer Stuben
- 1994-1996 : Traube Tonbach
- 1997-1999 : Master en école hôtelière en Allemagne
- 1999 : Naissance de sa fille Justine-Léone et retour à l’Hotel restaurant Hirschen
- 2008 : Reprise de la maison familiale
- 2009 : Perte de la 2é étoile Michelin
- 2012 : Récupération de la 2é étoile Michelin
Une femme en gastronomie
La difficulté du métier, la difficulté d’être une femme dans un monde réservé aux hommes, Douce Steiner l’a éprouvée. Misogynie, railleries, violences, harcèlement moral et sexuel, elle sait dans sa chair les épreuves que les femmes doivent parfois endurer pour apprendre les métiers de la gastronomie.
Pourtant, Douce a persévéré. En pâtisserie sous les ordres du chef Detain, elle travaille à tous les postes et intègre les techniques les plus précises. D’ailleurs, encore aujourd’hui, elle est heureuse de proposer dans son restaurant des petits fours et mignardises typiquement français dont ses clients raffolent.
Avant de rejoindre les équipes du renommé Traube Tonbach, puis le restaurant familial, Douce retourne en Allemagne et travaille au Schweizer Stuben auprès du chef Schilling dont la cuisine française aux accents méditerranéens la séduit. Cuisson à la minute, utilisation d’herbes et d’épices, goût du bon produit et surtout un restaurant de trente couverts avec une petite équipe de douze personnes. Douce est convaincue par ce format, ça sera le sien.
Un management moderne et à l’écoute
« Je n’ai pas besoin de crier toute la journée pour être écoutée. Le stress du service n’a jamais été un moteur pour moi, nous travaillons dans le respect absolu des uns et des autres. Et les résultats sont au rendez-vous. »
La famille Steiner est très unie, chacun a toujours respecté l’autre : respect des envies, respect des choix, respect du rythme.
Le mari de Douce, le chef Udo Weiler, l’accompagne, tout comme leur fille de 22 ans, Justine-Léone, en apprentissage et même ses parents, Hans-Paul et Claude qui vivent au premier étage continuent de participer régulièrement à la vie de la maison. Tout cela dans une grande harmonie.
Naturellement, Douce applique cette philosophie de vie à son hôtel-restaurant. Les vingt personnes de son équipe sont attentives à l’autre, s’entraident volontiers. C’est primordial. Les qualités de chacun forment un tout harmonieux. La réflexion autour d’un management au plus près des évolutions de la société, des aspirations des jeunes générations a toujours été une préoccupation centrale pour la cheffe qui tient au bien-être de son personnel.
Ainsi quand son chef Florian, jeune père, vient lui annoncer sa démission pour passer plus de temps avec sa famille, Douce impose une nouvelle organisation : il rentrera tous les soirs à 18 heures chez lui. Malgré les quelques doutes du début, l’expérience fonctionne. Florian comme le reste de l’équipe est heureux.
Forte de cet essai réussi, Douce va très vite plus loin : aux traditionnels congés dimanche-lundi-mardi, elle propose à son chef un repos du samedi au lundi. Grâce aux apprentis à qui elle tient à transmettre le meilleur, Florian sera seul dans les cuisines fermées du restaurant le mardi, préparant la mise en place du lendemain. Encore une fois, c’est un succès. « Si tout est bien préparé, l’équipe n’a pas besoin d’être présente au complet pendant le service. D’ailleurs, c’est plus fluide quand nous sommes moins nombreux. Alors pourquoi rester accroché à de vieux systèmes ? »
La gastronomie de demain ?
« La gastronomie s’est endormie. Plus personne ne veut travailler 16 à 18 heures par jour. Nous ne sommes pas des machines. Il faut se réinventer pour attirer les talents de demain. »
Douce reste sensible aux vibrations du monde, discute beaucoup avec sa fille entre autres. Depuis qu’elle est à la tête de l’hôtel restaurant Hirschen (en 2008), elle n’a jamais voulu s’agrandir, cherchant davantage la qualité que la quantité. Ses investissements, elle les consacre essentiellement à l’entretien de sa maison et au traitement de son personnel, bien traité et bien payé. Les congés se sont donc étendus, plus de menu du jour mais une proposition toujours aussi proche des saisons, de la nature, sans beurre et sans crème. Une légère augmentation des prix, « en douceur pour ne heurter personne. Il faut arrêter d’avoir peur que les clients nous abandonnent. Bien sûr, nous en perdrons peut-être certains, mais nous en rencontrerons d’autres. »
Quand la cheffe décide finalement de fermer son restaurant à la Saint-Sylvestre pour que son personnel, aussi, puisse profite des fêtes de fin d’année, le cahier de réservations est déjà plein. Qu’à cela ne tienne, Douce écrit personnellement à chaque client ayant réservé : tous ont été déçus, mais tous ont compris. Douce ose et ça marche.
Dans la continuité de cette réflexion, le restaurant Hirschen inaugurera bientôt un nouveau concept avec un seul service par jour. Le client pourra ainsi prendre tout son temps et l’équipe du restaurant aura tout loisir de s’occuper de lui comme il se doit. La proposition est encore à peaufiner avant d’être annoncée.
Si cela fonctionne, si les clients sont au rendez-vous, Douce réitèrera l’expérience en novembre, puis encore et encore, « j’ai toujours laissé du temps à tout, j’ai tout fait doucement mais bien. »
Douce ose encore, et si ça marchait ?
En attendant, la cheffe continue de réfléchir, d’observer, d’échanger comme avec Culinary Ladies, mais aussi avec des journalistes, ou encore avec d’autres chefs et cheffes dont elle a d’ailleurs toujours envie de se rapprocher. « Il faudrait que les acteurs de la gastronomie mondial travaillent plus main dans la main, échangent sur les prix exercés par exemple et sur bien d’autres sujets. Mais chacun reste dans son coin, donner davantage la parole aux femmes est essentiel. Elles ont une approche différente, peut-être moins prétentieuse. »