Linh Nguyen
« Notre complicité est parfaite. Nous partageons le même langage, la même passion et le même goût du travail en équipe. »
Indéniablement Linh Nguyen, sous-cheffe de Jérôme Banctel au Gabriel, est une femme sur qui on peut compter. Si sa pudeur et son humilité ne s’entendent guère avec les feux des projecteurs, la cuisinière a une force de caractère peu commune, offrant un modèle de persévérance, de fidélité et de loyauté.
Une rencontre, des rencontres
Quand elle arrive en France à 19 ans, Linh Nguyen ne sait pas encore qu’elle embrassera avec passion et détermination la voie de la gastronomie, mais elle a déjà cette force de caractère et cette curiosité qui la conduisent chez Alain Dutournier. Le chef du restaurant Le Carré des Feuillants, Laurent Bouveret, reconnait rapidement chez la jeune femme ce petit quelque chose en plus, cette appétence précieuse pour la haute cuisine. Aussi, il l’encourage à s’inscrire à l’école Ferrandi, « une formation exceptionnelle, d’une grande modernité tant dans l’équipement que dans les savoir-faire. J’ai tout de suite été très impressionnée et j’en garde un souvenir mémorable. » Si Linh hésite encore quelque temps entre la salle et la cuisine, c’est finalement cette dernière qui la choisira : le talent ne s’explique pas toujours. Et puis il y a la chance, la bonne rencontre, de celles qui changent une vie. Chez le célèbre chef Alain Senderens, Linh Nguyen rencontre Jérôme Banctel. Ils ne se quitteront (presque) plus. « Notre complicité est parfaite. Nous partageons le même langage, la même passion et le même goût du travail en équipe. Nous avons pleinement confiance l’un en l’autre, comme d’ailleurs avec les autres membres de l’équipe. Une grande force et une chance incroyable. »
Parcours de Linh Nguyen :
- 2002 : Arrivée en France à 19 ans
- 2004 : Découverte de la cuisine française
- 2006 : CAP de l’école Ferrandi, alternance au restaurant étoilé Le Carré des Feuillants
- 2008 : Rencontre avec le chef Jérôme Banctel chez Alain Senderens
- 2016 : Obtention des deux étoiles Michelin après 1 an d’ouverture pour Le Gabriel à La Réserve Paris
Un quotidien stimulant
Une synergie vertueuse qui permet de rester toujours en mouvement, de se surpasser sans s’épuiser, de ne jamais s’ennuyer et d’apprendre tout le temps. « Le travail en équipe est le formidable moteur de la réussite. C’est extraordinaire de travailler au sein d’une équipe soudée et bienveillante. » L’équipe, oui bien sûr, mais aussi les producteurs avec qui Linh travaille main dans la main, sans relâche, pour toujours proposer les meilleurs produits de saison. La qualité doit être irréprochable. « Aucune journée ne ressemble à la précédente, je rencontre beaucoup de gens différents et j’adore ça ! » Sans oublier les clients, au centre de toutes les attentions. Les clients que Linh et toute l’équipe du Gabriel s’évertuent à rendre heureux. Les clients qu’il faut écouter, à qui il faut savoir donner envie, mais aussi apprendre à bousculer : « Il nous a fallu être patients et persévérants pour faire comprendre le maquereau par exemple. Au début, les clients étaient assez sceptiques, ayant une mauvaise opinion de ce produit. Pourtant, il est encore à la carte aujourd’hui et rencontre un vif succès. Le client s’est habitué, nous pouvons faire évoluer les habitudes tout comme nos plats. »
La création au cœur
Certes il s’agit de satisfaire 50 clients exigeants chaque jour, certes il s’agit de créer sans cesse de nouveaux plats, de proposer des associations inattendues avec la pression permanente de l’excellence, mais Linh Nguyen sait qu’il faut aussi savoir lâcher prise et prendre le temps nécessaire pour aboutir au résultat escompté. « Je me demande tous les matins ce que nous pouvons améliorer. Douter, essayer encore et encore, se remettre en question en permanence est essentiel. » À l’instar de l’artiste, Linh accepte les journées où rien n’avance comme elle le souhaite. Son moteur est indéniablement sa passion. Au Gabriel, elle est responsable des créations, tandis que son binôme Maxime Vaillant se concentre sur l’exécution et le service, le chef Jérôme Banctel, en tant que chef d’orchestre de la cuisine, supervise cet ensemble parfaitement maîtrisé.
Si on y retrouve des inspirations asiatiques, la cuisine de Linh demeure avant tout française. Les matières premières donnent le ton. Les échanges avec les divers producteurs sélectionnés par le chef constituent la base de son processus créatif. Leurs conseils nourrissent sa créativité. « J’essaie de toujours rester ouverte aux propositions et recommandations de nos maraîchers, poissonniers, bouchers, etc. Nous avons de magnifiques produits qu’il s’agit de magnifier avec des condiments, des sauces, des cuissons, des dosages. Un plat est toujours en évolution, éphémère et unique. C’est un challenge passionnant de se renouveler avec le lapin, la pleurote, la caille, le merlan ou la carotte. »
La femme est un homme comme les autres
Les difficultés que Linh Nguyen a rencontrées dans son parcours professionnel sont davantage liées à son apprentissage du français qu’à son sexe. « Pendant le coup de feu, on n’a pas le temps de bavarder, si un mot est mal compris, ça peut avoir de réelles répercutions sur le service, maintenant je n’ai plus de problème mais ce fut long et parfois compliqué. » Si les droits des femmes restent plus étendus et mieux respectés en France qu’au Vietnam, elles doivent encore savoir poser des limites, imposer leurs conditions pour être respectées. « Les femmes ne sont pas des victimes. Nous devons être convaincues que nous avons autant de chances d’y arriver que les hommes. Au final, ce sont des métiers durs, pour les femmes, comme pour les hommes. Personnellement, je n’ai jamais eu de problèmes de sexisme. »
Linh a toujours foncé, concentrée sur son exigence et son perfectionnisme, n’hésitant pas à repartir au Vietnam pour faire une pause, se retrouver et se concentrer un moment sur sa vie personnelle. « Pour construire ma famille, j’ai ressenti le besoin de faire une pause. J’avais 38 ans et je voulais un enfant. » Linh a donc quitté les cuisines du Gabriel pendant deux ans pour devenir consultante au Vietnam. Elle y a même créé une boisson biologique, apprenant cette fois les produits et méthodes industriels. Et puis le Covid a chamboulé ses projets, sa fille est arrivée. Toutefois, le Gabriel et toute son équipe lui manquait : « Le chef m’a appelée en me rappelant que nous n’avions pas fini, qu’il nous fallait décrocher cette troisième étoile. Ensemble. Je suis rentrée pour la réouverture en mai 2021. »
Des contraintes allégées
La crise sanitaire et la fermeture des lieux publics ont permis au Gabriel de se réorganiser en profondeur. Le chef Jérôme Banctel a su s’adapter et faire évoluer son restaurant pour préserver la stabilité de son équipe. Aujourd’hui, le restaurant est fermé non seulement le week-end, mais aussi une semaine en hiver et en été, offrant à ses équipes jeunes, motivées et impliquées une qualité de vie loin des clichés de la profession. Nuancer la transition. D’ailleurs le poste de Linh Nguyen a, lui aussi, été adapté à son nouveau statut de jeune mère : « Je suis officiellement sous-cheffe création, c’est-à-dire que je ne suis pas en charge de l’exécution des plats, mon travail est moins calé sur le coup de feu des services et, surtout, je ne travaille plus le soir. C’était une condition sine qua none à mon retour, ainsi je vois ma fille le soir et les week-ends. »
Au Gabriel, le dialogue est ouvert. Même si les consignes demeurent strictes, si l’organisation doit être rigoureusement respectée pour un fonctionnement idoine, tout le monde est important en cuisine et personne ne hausse le ton de la voix. Il faut impérativement avancer ensemble dans une ambiance saine, en restant à l’écoute de ceux qui réalisent et servent les plats. La vingtaine de personnes de la brigade du Gabriel qui partage sa cuisine avec l’équipe de l’autre restaurant de l’hôtel, La Pagode, est fière de ses valeurs : entraide, honnêteté, loyauté, union, car oui, indéniablement, l’union fait la force. « Nous jouissons tous d’une certaine autonomie mais la hiérarchie est respectée à tous les niveaux. On se fait grandir les uns les autres dans le seul but de faire plaisir aux clients. Mon rôle est de créer mais aussi de transmettre aux plus jeunes les bonnes bases : tenue correcte, respect mutuel, ponctualité. Ça parait évident, pourtant bon nombre de nouveaux dans la profession restent étonnés quand ils découvrent l’envers du décor, la pression, la quantité de travail nécessaire pour maintenir un niveau d’excellence. Ils ont de nombreuses exigences avant même de commencer. La question du niveau de la nouvelle génération est, je crois, le principal enjeu du grand restaurant de demain. »
Un équilibre essentiel
Évidemment, les métiers de la gastronomie demandent beaucoup : beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, beaucoup de patience et d’abnégation. La passion est nécessaire pour y faire carrière. Toutefois, « il ne faut pas avoir que la cuisine dans la vie. La créativité a besoin d’être nourrie. » L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est essentiel. Non seulement Linh Nguyen veut voir sa fille de 10 mois grandir, mais elle continue de s’intéresser à la photographie, son autre passion. Et si elle ne suit plus ses cours de photo du lundi, son œil aiguisé lui sert tous les jours dans son métier. D’ailleurs, quand le chef Jérôme Banctel a sollicité son équipe pour l’élaboration de son livre aux éditions Flammarion (paru fin 2019 et lauréat du prix Champagne Collet), Linh s’est naturellement chargé de la direction artistique et a longuement travaillé avec le photographe Richard Haughton. Une nouvelle fois, à cette occasion, l’équipe a démontré sa cohésion, son implication, son plaisir à œuvrer ensemble dans un but commun. Hier pour la publication de ce livre ambitieux, aujourd’hui pour offrir à ses clients le meilleur de la gastronomie et demain pour décrocher cette tant attendue troisième étoile ? L’histoire est en marche, car oui, indéniablement, l’union fait la force. « Profitons du présent et faisons le maximum, maintenant. »