Émilie Couturier
« J’ai la grande chance d’être bien entourée et je savoure cette chance tous les jours. »
Émilie Couturier est une femme qui va vite, une femme qui sait utiliser ses doutes pour avancer et aller vers ses désirs. Pourtant, à 28 ans, sa grande fierté n’est ni son parcours exemplaire, ni son titre de cheffe pâtissière du Taillevent, mais son équipe. Une équipe qu’elle est heureuse de retrouver chaque matin, une équipe qu’elle manage sans jamais hausser la voix, une équipe qu’elle choit. Si Émilie Couturier fera sans aucun doute une belle et longue carrière dans le monde de la gastronomie, nous sommes heureux de la compter aujourd’hui parmi les femmes en vue de l’association Les Grandes Tables du Monde.
Comment êtes-vous devenue cheffe pâtissière ?
Un peu par hasard. Quand je me suis inscrite en Bac Pro dans ma ville d’origine, Le Mans, mon intention était d’apprendre les métiers de la salle, je voulais être serveuse. Pourtant, dès ma première année d’école, j’ai compris que c’était finalement en cuisine que j’avais envie d’évoluer. Afin d’avoir une formation solide et complète, j’ai essayé la pâtisserie. Ce fut instantanément un coup de cœur, j’ai su que j’avais trouvé ma voie, j’ai donc poursuivi avec une mention complémentaire en pâtisserie. J’y ai rencontré des professeurs exceptionnels qui ont su me transmettre leur amour du métier et m’ont encouragée à persévérer. D’ailleurs, quand le parrain de mon lycée, le chef Philippe Mille du Domaine Les Crayères – lui-même ancien élève de cet établissement – est venu goûter nos plats, ce sont mes professeurs qui lui ont parlé de moi. C’est grâce à eux que j’ai pu intégrer tout de suite la haute gastronomie. Certes, j’avais fait de nombreux stages dans de très belles maisons mais c’est au Domaine Les Crayères, grâce au chef pâtissier Arthur Fèvre que j’ai réellement commencer à apprendre l’exigence et la rigueur de la pâtisserie. J’avais des étoiles dans les yeux et dans la tête ! Le luxe et l’excellence aussi bien dans la qualité des produits que dans le service m’ont ouvert un champ des possibles infini. Le monde de la pâtisserie est plus posé, plus délicat, plus précis encore que celui de la cuisine. Ce sont ces subtiles différences qui m’ont séduite il y a treize ans et continuent encore de me séduire.
Parcours d’Émilie Couturier
- 2009 : Bac professionnel au lycée Hélène- Boucher à Le Mans.
Stage dans les restaurants Le Manoir du Lys, Le Relais Bernard Loiseau et Les Flocons de Sel. - 2012 : Commis pendant la saison au Château Saint Martin à Vence sous la houlette de Yannick Franques.
- 2012 : Mention complémentaire en pâtisserie.
- 2013-2016 : Commis puis demie-cheffe de partie au Domaine Les Crayères à Reims avec le chef Philippe Mille et le chef pâtissier Arthur Fèvre.
- 2016 : Cheffe de partie Le Clarence et rencontre avec le chef Giuliano Sperandio.
- 2018 : Cheffe de partie chez Apicius sous la direction du chef et MOF Pâtissier Confiseur Jérôme Chaucesse.
- 2019 : Sous-cheffe, responsable de la pâtisserie au restaurant Le Clarence.
- Depuis 2021 : Cheffe pâtissière au restaurant Le Taillevent dont les cuisines sont dirigées par le chef Giuliano Sperandio.
Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?
Les rencontres. J’ai découvert et je découvre des personnalités très différentes : les clients, les fournisseurs, le chef du Taillevent Giuliano Sperandio, bien sûr, et surtout mon équipe, entièrement féminine. Chaque matin, c’est un grand plaisir de la retrouver et de travailler collectivement dans la même direction. Giuliano et moi avons recruté Lucine Salquain et Margaux Ladoucette, commis, Justine Giraud, apprentie et Gaïa Trifiletti demie-cheffe de partie ensemble. Je suis très fière de ce que nous arrivons à offrir à chaque service. Le métier est dur, stressant, il réclame une grande résistance physique et psychique. La passion est primordiale mais elle ne suffit pas : il faut impérativement être bien entouré. J’ai la grande chance d’être bien entourée et je savoure cette chance tous les jours.
Quel binôme formez-vous avec le chef Giuliano Sperandio ?
J’ai rencontré le chef au Clarence. Immédiatement, tout a été très simple entre nous. Nous nous comprenons, nous nous soutenons, la communication est fluide, la confiance absolue. Rencontrer LA bonne personne est un miracle que je souhaite à tout le monde. Nous formons un binôme solide et précieux.
Aussi, quand il est parti au Taillevent, je ne m’imaginais pas travailler sans lui et c’est tout naturellement que je l’ai suivi. Nous avons tout construit ensemble. Les propriétaires de cette maison historique ont donné carte blanche à Giuliano pour interpréter les grands classiques de la gastronomie française avec modernité et finesse. A son tour, il m’a fait confiance pour proposer une carte de desserts cohérente avec sa cuisine, ses saveurs. Nous travaillons main dans la main et échangeons tout le temps. Je peux vous parler, par exemple, de notre fameuse brioche feuilletée. Giuliano souhaitait accompagner ses entrées d’une brioche. Nous avons cherché longuement, fait de très nombreux essais avant d’arriver à nos fins. Il fallait bien sûr qu’elle soit bonne et gourmande mais aussi jolie et présentable. Notre persévérance a payé ! Globalement, je me suis adaptée aux envies du chef. La direction qu’il me propose me plait beaucoup, je m’y déploie avec aisance et plaisir. Au milieu de cette exigence, de cette précision inhérentes au métier, nous laissons une place à l’instinct, au feeling et ça me plait énormément.
Comment nourrissez-vous votre créativité ?
Comme notre clientèle du midi est en grande partie des habitués, nous nous obligeons à renouveler les menus du déjeuner très souvent, toutes les deux semaines environ ; quant à la carte composée de cinq desserts, ce sont naturellement les saisons qui la rythment. Je pars d’une idée, personnelle ou commune, je me lance, nous goûtons et, le plus souvent, le premier client est notre meilleur baromètre. Selon ses retours, nous ajustons, mais en général ils sont bons, tant mieux !
Nous avons quand même un cadre fixe qui respecte les codes généreux du Taillevent. Le dessert signature de la maison est la crêpe Suzette que nous accompagnons toujours d’un petit pot de gelée de fruits frais, nous proposons également un soufflé blanc, un soufflé noir, un dessert plus gourmand et crémeux, et enfin un dessert aux fruits. Je m’inspire des produits du moment, des visuels de Pinterest ou d’Instagram, je ne copie jamais mais ça me nourrit. J’en discute ensuite avec mon équipe, avec Giuliano et les idées s’organisent rapidement. Mes voyages aussi m’invitent à oser de nouveaux ingrédients, à prendre des risques, j’aime tenter de nouvelles expériences : intégrer la lavande, la pistache, la fleur d’oranger ou encore des cannolis siciliens. J’aime le sucre, la simplicité, la gourmandise et le mélange des textures. Jamais de colorants ni de produits chimiques, ma pâtisserie est simple malgré la technique. Je n’ai pas peur d’évoluer, de constater les changements dans ma manière de faire. Par exemple, j’utilisais beaucoup la feuille d’or. Je trouvais que c’était élégant, aujourd’hui, je n’en veux plus. Trop cher, pas assez dans l’air du temps. Nous cherchons à proposer une pâtisserie classique mais réinterprétée avec modernité. L’exigence et les défis font partie de mon caractère. Répéter un geste, refaire une recette jusqu’à obtenir le dessert parfait me satisfait beaucoup.
Quelle manageuse êtes-vous ?
Ma volonté, notre volonté avec Giuliano, est de travailler dans une ambiance apaisée, calme et sereine. Il s’agit d’offrir le meilleur tous les midis et tous les soirs de la semaine : nous faisons en moyenne cinquante couverts par service, du lundi soir au vendredi soir. C’est une énorme pression qu’il faut savoir gérer. Organisation, dialogue et respect sont mes maîtres mots. J’essaie de faire grandir les femmes de mon équipe comme d’autres m’ont et me font encore grandir. Je me vois un peu comme leur « maman » professionnelle. Je prends le temps de leur expliquer le plus clairement possible ce que je veux, puis je leur fais confiance. Nous avons une cohésion d’équipe que chacune nourrit. Il ne faut pas hésiter à dire simplement que quelque chose ne va pas, mais il ne faut surtout pas oublier de féliciter. Je refuse de m’énerver, même si, comme tout le monde, je suis parfois agacée, fatiguée, j’ai toujours réussi à m’imposer sans hausser le ton de la voix. Si on respecte l’autre, si on a tous envie de bien faire, il n’y a aucune raison pour que cela ne se passe pas bien. Accepter les singularités de chacun permet d’évoluer ensemble dans un but commun. Les difficultés de recrutement représentent pour moi le grand enjeu de la gastronomie de demain. La génération qui arrive sur le marché du travail est bien différente de la nôtre et des précédentes. Le sens et surtout les conditions de travail sont devenus essentiels. Le respect et l’écoute sont la base pour construire l’avenir.