Julie Bares-Bonneau

« Un service c’est un peu comme une pièce de théâtre que l’on joue. Nous avons un rôle à jouer tout en restant nous-même.»

C’est sa première interview. Derrière son écran, sur fond de moulures dorées, elle apparait néanmoins à l’aise, cheveux lissés et sagement tirés, en tailleur noir et chemise blanche, son uniforme de travail. 

Professionnelle elle l’est. Quand par exemple elle use de retenue pour parler d’elle, de son travail. Mais sa jeunesse, -elle a moins de 30 ans-, la trahit aussi quand avec un large sourire elle se laisse soudain aller à une franche spontanéité.

Julie Bares-Bonneau fait partie de la nouvelle équipe du Meurice formée autour du chef Amaury Bouhours, du directeur de salle Olivier Bikao et du sommelier Gabriel Veissaire. Une team de choc mise en place par Alain Ducasse qui on le sait, a le talent pour dénicher celui des autres et le faire s’épanouir. Julie est la plus jeune et (au moment de l’entretien) la seule femme de ce groupe de trentenaires, mais elle est celle qui connait le Meurice depuis le plus longtemps puisque c’est fraichement sortie de l’école Ferrandi qu’elle y trouve sa place et y a gravi les échelons. Un parcours sans faute et un style qui Incarne parfaitement ce qu’est le service d’aujourd’hui, -du moins ce qu’il devrait être- : pro et naturel, attentionné sans être guindé tout en étant prêt à briser certains codes pour le bonheur du convive.

Comment est né votre amour pour ce métier ?

Pour être honnête, plus jeune ça n’était pas un métier qui m’intéressait même si ma famille est aussi dans la restauration. Mais pour le stage de 3ème, alors que je m’y étais prise un peu tard, je me suis retrouvée au restaurant Rech. Et là, révélation !

Ce que Julie omet de dire, à ce stade de l’interview, -elle ne le révèlera que beaucoup plus tard-, c’est que son père travaille dans le groupe Alain Ducasse. Une discrétion plus qu’un secret à laquelle elle tient, jugeant avec raison qu’elle n’a jamais eu besoin de ce coup de pouce pour faire sa place.

« Oui, j’étais baignée dans ce milieu, j’en connaissais les avantages, les inconvénients. Mais le coté très humain, l’ouverture d’esprit, la diversité que j’ai trouvée au Rech, m’ont fortement marquée. Je ne sais pas exactement quand est venu le déclic, mais ces dix jours m’ont donné la vocation et comme l’école ne me plaisait plus vraiment, je suis entrée directement à Ferrandi.

J’y ai d’abord passé mon CAP, pensant m’arrêter là, mais mes professeurs m’ont poussée à faire un bac, puis un BTS. Au final j’y ai passé 6 ans et comme ils le disent là-bas je suis entrée dans les murs !

Parcours de Julie Bares-Bonneau :

  • 2009 : entre à 15 ans à l’école Ferrandi- Paris
  • 2011 : passe son CAP service de restaurant
  • 2013 : obtient son Bac Pro Commercialisation et services en restauration
  • 2015 : achève son BTS Hôtellerie Restauration option art culinaire, art de la table et du service
  • Août 2015 : entre au Meurice – Paris au poste de Chef de rang
  • Janvier 2018 : devient Assistant Maître d’Hôtel
  • Octobre 2019 : est nommée Directrice adjointe

Que vous ont apporté ces années d’études ?

Nous sommes bien préparés, bien que malheureusement un peu formatés. On nous enseigne les bases mais sur le terrain on se rend finalement compte que chaque restaurant est différent. Ce qui a été déroutant pour moi, n’a pas été en termes de service, mais plus de relations avec les clients. En tant que femme, il y a parfois des comportements qui sont plus délicats à gérer que d’autres. Cela reste cependant très rare. Ensuite, tout dépend du tempérament de chacun. Pour moi qui suis très timide, il a été compliqué d’entrer dans une brigade. Mais maintenant entre la Julie au travail et la Julie en dehors, j’aime dire que c’est deux salles deux ambiances ! La Julie à l’extérieur est restée timide et ne va pas trop vers les gens, elle peut paraitre assez renfermée et froide. La Julie professionnelle peut, avec son uniforme, paraitre de prime abord assez dure, mais elle va au bout des choses, a plus confiance en elle et n’a pas peur d’oser. Je suis très persévérante et quand j’ai une chose en tête, je reste facilement butée. Un bien comme un mal, car cela peut être un souci dans un service !

Comment laissez-vous s’exprimer votre personnalité ?

Un service c’est un peu comme une pièce de théâtre que l’on joue selon les séquences imaginées par le Chef. Quand nous passons la porte de l’office, nous avons un rôle à jouer tout en restant nous-même. J’utilise une image un peu enfantine pour expliquer cela : je me compare à un Barbapapa, dans le sens où je m’adapte à la personne en face de moi en gardant ma personnalité.  

Je pense qu’avec Olivier Bikao notre volonté est de laisser s’exprimer le caractère de chacun. Nous ne sommes pas des robots. Il ne s’agit pas de créer des personnages qui sont tous les mêmes -ce qui est de toute façon impossible-, mais de jouer avec les forces et les faiblesses de chacun pour former une bonne équipe. En salle, on a beaucoup retiré de ce qui était découpe, avec comme objectif de se focaliser sur le partage avec le client, lui créant ainsi une vraie expérience. C’est notre ambition au Meurice. Cette émotion que nous voulons susciter est difficile à expliquer, et c’est un peu abrupt à dire, mais c’est comme la passion, il faut l’avoir en soi pour être en mesure de la partager. Et ça malheureusement, on peut difficilement l’apprendre aux gens.

A-t-on le droit aujourd’hui de tout faire dans un restaurant gastronomique ?

Je dirais que oui… même s’il y a quand même des limites…disons tout, à partir du moment où c’est cadré. A la base, je ne voulais pas entrer dans un restaurant gastronomique car je redoutais d’être bridée. C’est un défi que je me suis lancée après Ferrandi. J’avais des idées reçues parce qu’en fin de compte, ici, c’est un étoilé décomplexé. On a le droit de rire aux éclats et même de prendre des selfies avec les clients. On ne le fait pas tous les jours, mais ce qui pouvait déranger il y a quelques années, entre maintenant dans les mœurs. Je me souviens d’avoir un jour pris des fillettes avec moi derrière le chariot à fromages pour le service elles étaient ravies et les parents aussi.

Je constate qu’en 6 ans j’ai beaucoup évolué. D’abord parce j’ai pris confiance en moi et que mon poste actuel m’autorise plus de choses. Et contrairement à mon idée de départ, je suis vraiment faite pour l’étoilé !

Existe-t-il des consignes pour l’explication de la carte ?

Oliver nous donne un explicatif de la carte, mais c’est pour la base et les ingrédients. Ensuite chacun va moduler son discours comme il le souhaite pour transmettre le mieux possible l’intention d’Amaury au client. Nous sommes tous le maillon d’une chaine et pour transmettre ce message, chacun doit y mettre ses émotions. Mon explication d’un plat va être un peu différente de celle d’un collègue car nous ne ressentons pas tous la même chose en le goutant. Personnellement j’ai toujours eu du mal à l’école avec les récitations. Je les apprenais bêtement et je n’en ai plus aucune trace aujourd’hui. Or, si on apprend avec ses propres mots, ses moyens memo technique… ça fonctionne. Donc rien n’est dicté, mais en revanche, nous suivons le fil conducteur du voyage culinaire et de l’émotion.

Qu’est-ce qu’un service réussi ?

C’est quand je vois les yeux des gens briller et qu’à la fin ils me remercient. Et ce, même si on a passé un service compliqué et chaotique. C’est aussi quand tout le monde y a pris du plaisir, moi, le client, mais aussi les équipes en salle et en cuisine. Avec ce qui se passe actuellement, les gens ont besoin d’être chouchoutés. Les clients reviennent au restaurant certes pour le coté culinaire, mais aussi pour le côté humain. Et nous aussi avons évolué dans notre manière de faire le service. Si l’assiette est bonne mais que le reste ne suit pas, que vous n’avez pas compris le voyage proposé par le chef, leur client restera peut-être avec un petit gout amer à la fin du repas. Un service réussi c’est donc ce merci, mais un merci vraiment sincère.

 Les modèles féminins ne sont pas encore légion pour celles qui entrent dans le métier. Il en existe néanmoins un qui guide les pas de Julie Barès-Bonneau. Il s’agit de Claire Sonnet, directrice de salle du Louis XV Alain Ducasse à Monaco. Son parcours l’inspire et quand son directeur de la restauration lui a dit « tu es comme elle, tu as une autoroute devant toi, alors fonce ! » elle s’est sentie pousser des ailes.

Quelle est la place des femmes dans votre métier ?

Quand je suis arrivée ici il y en avait beaucoup, mais actuellement en poste fixe, je suis la seule. C’est un métier où notre présence est heureusement encouragée, mais il n’est pas forcément nécessaire d’en faire plus pour trouver sa place. Lorsqu’il m’est arrivé de rencontrer certaines difficultés à trouver la mienne, Olivier m’a mise en contact avec Claire Sonnet pour avoir ses conseils. Elle m’a recommandé d’être un peu plus ferme, d’avoir davantage confiance en moi, de montrer que j’étais bien là. Au sein d’une équipe, s’adresser à une femme est une chose, parler à un homme en est une autre. Il a peut-être plus de difficulté à recevoir d’une femme une critique ou un commentaire. La communication entre hommes est brute et part vite dans le conflit, alors qu’une femme va prendre plus de pincette. Ce qui ne devrait pas l’empêcher de faire preuve de fermeté.

Faut-il mettre de côté l’idée d’une vie de famille ?

Les gens se sont rendus compte aujourd’hui que c’est un métier dur, avec des horaires à rallonge, une certaine pression…Mais si on y prend du plaisir et si on le fait avec passion, beaucoup de contraintes s’oublient. Il est vrai que la vie de famille peut être compliquée mais il y a beaucoup de structures, comme ici, où les équipes ne viennent que le soir, où l’on dispose de ses samedi et dimanche.  

Quant à moi, je préfère pour le moment me concentrer sur mon métier sans réfléchir à la suite et quand je serai vraiment dans une situation plus stable, je me poserai la question ! 

Julie ne cache pas son ambition de participer à la reconquête de la troisième étoile perdue par le restaurant en 2016. C’est certainement le vœu de toute l’équipe qui depuis la rentrée 2020 œuvre en salle et en cuisine sous le regard du chef Alain Ducasse, plus présent que jamais. Une ambition qui sans être une obsession est forcément dans l’esprit de chacun.

Quelle est l’importance de la reconquête de la troisième étoile ?

J’y ai énormément pensé, Et en fin de compte, c’est un peu pour ça que chaque année je me dis : reste. En revanche, la crise m’a fait réfléchir et j’ai arrêté de me focaliser là-dessus parce que c’est comme ça que finalement que nous ne le l’aurons pas. On a beau faire tout ce qu’on veut, certaines choses arrivent hors de notre volonté. Et là sincèrement, depuis la réouverture nous n’en avons parlé qu’une seule fois. Nous nous sommes dit que si nous l’obtenons, ce sera bien, c’est qu’on aura travaillé pour, mais qu’il faut avant tout penser au client.  A l’expérience que nous lui faisons vivre et je dis bien expérience, parce que c’est vraiment ça que nous souhaitons faire. Ensuite nous verrons ce qui arrive. Deux étoiles c’est déjà très bien, mais si demain on a la troisième, oui, je serai la plus heureuse du monde (mis à part le chef Alain Ducasse !) parce que j’attends ça depuis qu’on l’a perdue… Et s’il advenait que le restaurant l’obtienne après que je sois partie, ça me mettrait vraiment le moral à zéro !

Comment envisagez-vous votre futur ?

Si vous me demandez ce que je veux faire demain, je ne peux vraiment pas vous le dire, même si forcement le poste que je vise est celui de directrice de salle. J’ai toujours évolué en fonction des opportunités qui s’offraient à moi. Des portes se sont ouvertes, des gens sont partis et j’ai pu changer de poste, à moi ensuite de prouver que je pouvais les occuper. C’est très enfantin ce que je vais dire, mais rendre mes parents fiers, me rendre fière moi-même en faisant le métier que j’aime, il n’y a pas mieux finalement.