Virginie Protat

« J’ai absolument besoin de me sentir en confiance, de travailler dans une ambiance sereine. Ce qui m’a définitivement convaincue d’accepter cette incroyable proposition fut la certitude que j’allais apprendre énormément. »

Même dans l’univers de la gastronomie, les temps changent : les femmes n’ont plus à rougir quand elles proclament qu’elles avancent avec le cœur. La cheffe Virginie Protat fait partie de cette nouvelle génération de femmes qui ont décidé de s’imposer en cuisine en souriant, sans jamais hausser le ton de la voix et sans avoir besoin de faire oublier leur sexe au passage.
Depuis toujours, elle n’a cessé de suivre son intuition. Force est de constater que ça lui a réussi : à 31 ans, elle est la cheffe du Tantris DNA, à Munich, à qui elle a permis d’obtenir une première étoile Michelin après seulement six mois d’ouverture.

La passion au cœur

L’histoire commence alors que Virginie Protat n’est encore qu’une enfant ; hyperactive, elle ne supporte pas l’ennui et accepte la proposition de son oncle de venir l’aider le mercredi dans son restaurant lyonnais. « Ce fut un véritable coup de cœur. J’avais 12 ans et ce qui ne devait être qu’une simple occupation est devenu ma passion. J’y ai découvert un métier qui apporte du bonheur aux gens, merveilleux ! »

Opiniâtre, la jeune fille parvient à convaincre ses parents – secrétaire médicale et ophtalmologue – de l’accompagner et de lui faire confiance dans son envie de quitter la filière générale pour s’engager directement dans un baccalauréat technologique hôtellerie.

Le conte de fées aurait pu s’arrêter ici car Virginie Protat est confrontée dès son premier stage à la violente réalité : certaines pratiques de management toxiques et déstabilisantes sont encore légion dans les cuisines françaises, tout particulièrement quand on est une jeune femme volontaire. Fragilisée, elle doute, s’interroge mais refuse d’abandonner si vite. Elle se promet néanmoins de ne plus jamais accepter de revivre des moments semblables. Tout au long de son parcours, elle se tiendra à cette promesse. Sa prochaine expérience lui apporte avec soulagement la confirmation de son coup de cœur d’enfant. Le chef Guy Lassausaie l’accueille dans son restaurant gastronomique étoilé à l’ambiance familiale et lui transmet avec générosité et bienveillance son savoir-faire et sa passion. « Sa douceur et son grand professionnalisme m’ont appris à observer davantage ce qui se passe en cuisine. Il avait juste besoin de froncer les sourcils pour exprimer son mécontentement, c’était d’une efficacité redoutable. Personne ne veut décevoir quelqu’un qu’il respecte et admire. J’ai adoré cette façon de faire. Je travaillais directement à ses côtés, alors que j’étais une stagiaire sans expérience. Il était important pour lui que l’ensemble de son équipe en cuisine sache tout faire. C’était tellement enthousiasmant ! »

Le parcours de Virginie Protat en quelques dates clés

  • 2007-2009 : Baccalauréat Technologique Hôtelier
    Lycée Hôtelier Savoie – Léman / Thonon les bains – France
  • 2009-2011 : Bachelor’s degree in gastronomy and restaurant management
    Institut Paul Bocuse / Ecully – France
  • 2012 : Restaurant « Greuze » / Chef Yohann Chapuis / Tournus
  • 2012-2013 : Hôtel royal Monceau » – « Il Carpaccio »
    Chef Roberto Rispoli / Paris – France
  • 2014 : Verde
    Australie – Darlinghurst
  • 2015 – 2016 : Guy Lassausaie / France, Chasselay
    Chef de partie
  • 2017 : Auckland / Nouvelle–Zélande
    Chef de partie
  • 2017-2018 : L’Angelick / La Muraz – France,
    Chef de partie -> cheffe de cuisine (Remplacement)
  • 2018 – 2019 : Catering / Genève – Suisse
    Sous-Chef de cuisine -> Responsable d’unités
  • 2020 : Belle – Plagne / France
  • 2021 : Tantris Maison Culinaire – « Restaurant Tantris DNA »
    Cheffe de cuisine

 

Des découvertes et des expériences

La rencontre avec le chef Guy Lassausaie est si forte qu’elle retournera travailler plusieurs années dans son restaurant après avoir complété sa formation à l’Institut Paul Bocuse et « découvert le monde ». Car si Virginie Protat ne supporte pas l’ennui, elle est surtout d’une intarissable curiosité et sait saisir toutes les opportunités pour continuer à apprendre et nourrir sa passion de la gastronomie.

Dans le restaurant Greuze à Tournus, elle découvre avec le chef Yohann Chapuis et son équipe une attention singulière aux produits régionaux et la saisonnalité ; au restaurant Il Carpaccio de l’hôtel Royal Monceau à Paris, elle se frotte à la grande cuisine italienne et comprend très vite qu’il lui faudra maîtriser l’anglais pour assouvir ses ambitions. « Je suis très attachée à ma famille et à la région lyonnaise où j’ai grandi, aussi, pour être sûre de ne pas céder à la tentation de rentrer trop vite en France, je devais partir loin et comme ce pays me faisait rêver depuis longtemps, ce fut l’Australie. » À 22 ans, Virginie Protat passe une année à Sydney où elle travaille dans un restaurant gastronomique italien, puis rentre en France avant de repartir pour une nouvelle année à l’étranger, cette fois ce sera la Nouvelle-Zélande. À son retour, elle accepte avec engouement un poste de sous-cheffe chez un grand traiteur suisse. « Toutes les expériences, toutes les rencontres sont enrichissantes et ce métier nous en offrent énormément. » De sous-cheffe, elle devient vite responsable. Cette fonction l’éloigne un moment des cuisines : gestion de la carte salée, de la brasserie, mais aussi de la vente à emporter. Elle se forme à l’envers du décor avec les plannings, les commandes et surtout les ressources humaines puisqu’elle doit diriger quatorze personnes. « J’avais 26 ans et ce poste m’a permis d’avoir une vision globale de l’entreprise, du métier de bouche. Passionnant mais également épuisant car je travaillais nuits et jours. »

La Covid met un frein brutal à ce rythme effréné : « J’ai réalisé que je n’avais jamais arrêté, quand ce n’était pas les cours, c’était les stages ou les extras divers et variés en cuisine ou au service dans mes montagnes adorées, comme à Megève ou encore au Sofitel de Lyon. Pour moi, découvrir une nouvelle équipe, d’autres fonctionnements, c’était aussi des vacances. »

Toujours optimiste et pleine de ressources, Virginie Protat retrouve avec joie son autre passion : la photographie. Elle se confine à La Plagne, dans les Alpes, fait beaucoup de randonnées, se gorge de nature, se ressource. Jusqu’au moment où une amie l’appelle pour lui confier la cuisine de son jeune bouchon lyonnais. Elle est heureuse de retrouver les fourneaux et les plats généreux de la cuisine française traditionnelle. Fonctionnant toujours à l’affect, s’attachant aux gens avec aisance, elle a su développer un réseau important : « Je me lie facilement aux gens et je suis fidèle, j’aime entretenir les liens. » Ainsi, son ami de l’Institut Paul Bocuse, Benjamin Chmura l’appelle pour avoir son avis sur son ambitieux projet en cours : le « nouveau » Tantris.

L’aventure Tantris

Le mythique restaurant allemand, fondé en 1971 par Fritz et Sigrid-Ursula Eichbauer, est alors fermé pour d’importants travaux et une révision complète de son organisation. Généreuse et solaire, Virginie Protat encourage son ami avec conviction, à tel point qu’il la rappelle assez rapidement pour lui proposer, cette fois-ci, de prendre en charge la carte du petit nouveau de la Maison Tantris : le restaurant Tantris DNA, 30 couverts, et une cuisine résolument française. L’ampleur du challenge a de quoi effrayer.

Là encore, elle fait confiance à son intuition et suit son cœur : « J’étais terrifiée mais cette peur était motivante. Comme beaucoup de femmes, j’ai tendance à me remettre trop facilement en question. Et je savais que je serais bien entourée : Benjamin d’abord, mais aussi Maxime Rebmann, le chef pâtissier de Tantris qui est un ami de longue date. J’ai absolument besoin de me sentir en confiance, de travailler dans une ambiance sereine. Ce qui m’a définitivement convaincue d’accepter cette incroyable proposition fut la certitude que j’allais apprendre énormément. »

La chaleur de l’accueil de toute la famille Eichbauer, notamment celui de Sabine et Félix, mais aussi celui du chef exécutif Mathias Hahn et bien sûr de Benjamin et de Maxime, la rassure immédiatement. Virginie Protat sent qu’elle a trouvé l’ambiance familiale dont elle a besoin pour s’épanouir. Elle qui n’a jamais mis les pieds à Munich (et ne parle pas un mot d’allemand) découvre avec joie une ville d’histoire, entourée de lacs et de montagnes, dans laquelle il fait bon vivre.

La gastronomie française en force

Depuis deux ans maintenant, elle y exprime avec sensibilité sa vision de la gastronomie française, sans rien renier des cartes mondialement renommées des chefs Eckart Witzigmann, Heinz Winkler et plus récemment Hans Haas. Trois chefs dont Virginie Protat porte fièrement l’extraordinaire héritage.

« J’ai participé à la mise en place du projet global, suivi l’avancée des travaux et participé, avec cette magnifique équipe qui est devenue une vraie famille, à toute l’organisation de la réouverture. Quelle aventure ! Je suis fière de raconter l’histoire de cette institution, de la partager, et très attachée à l’idée de la faire perdurer. »

Virginie Protat aime passionnément la gastronomie française, puits intarissable d’inspiration tant chaque région offre des vins, des fromages, des viandes, des poissons et des légumes différents. « C’est pour cette richesse, son aspect social et culturel, qu’elle demeure une référence mondiale. »

La cheffe joue avec les classiques, les adapte à nos modes de vie, les fait évoluer pour les amener naturellement vers une certaine modernité qui est sans doute la clé de son succès. Moins de sel, moins de protéines, une attention particulière à la provenance des produits, à la pêche durable… autant de leviers pour inscrire les grands classiques français dans notre époque et puis, aussi – surtout même – la poésie.

« Chaque jour est différent, nous construisons notre carte avec Benjamin, selon les produits à disposition, en prenant soin de les travailler dans leur intégralité. J’aime beaucoup la façon dont nous avançons, en parfaite harmonie. Il m’aide à lâcher prise. Moi qui suis cérébrale et perfectionniste, il m’encourage à cuisiner avec cœur à m’adapter aux attentes des clients. Et je me réfère beaucoup aux plats historiques de la maison, je réfléchis à la façon dont on peut utiliser notre magnifique et emblématique charriot de découpe. »

Et demain ?

Pour Virginie Protat, le restaurant gastronomique doit continuer à se réinventer afin d’attirer les nouvelles générations aussi bien à sa table que dans sa cuisine. « Certes le métier est compliqué et exigeant mais il donne tellement en retour ! On assouvit un besoin physiologique, c’est fort mais nous devons maintenir une certaine proximité avec la jeunesse, avoir toujours à cœur de former et partager. »

Dépoussiérer un management encore trop souvent archaïque est essentiel. Le respect, la communication et l’écoute sont primordiaux. « Il ne faut pas avoir peur de dire les choses. Le négatif, mais surtout le positif. Échanger, encourager. La bonne cohésion de l’équipe permet d’affronter toutes les difficultés, pour cela il faut comprendre et accepter les qualités et les défauts de chacun. »

Si elle ne rencontre aucun problème de légitimité avec les six jeunes hommes dont elle est responsable car la nouvelle génération est moins sexiste, force est d’admettre que le chemin est encore long pour encourager les femmes à oser s’approprier les cuisines : « Nous n’avons pas reçu de CV de femme. Les hommes ne prennent pas encore assez la charge familiale. Les mentalités évoluent lentement mais si les crèches avaient des horaires adaptés par exemple, ce serait déjà une ouverture. Mettre en avant l’ego de l’homme, sa force et sa soi-disant rapidité n’a plus de sens aujourd’hui. Les femmes sont encore beaucoup trop souvent rabaissées, ou obligatoirement rattachées au service, à la pâtisserie. Pourtant, j’ai bon espoir, nous allons y arriver ! Nous devons croire en nous et en nos rêves. Je relis très souvent le discours que Michel Guérard a prononcé en 2011, à la remise des diplômes de l’Institut Paul Bocuse : il y fait l’éloge du rêve. Ses mots sont beaux, réconfortants et tellement inspirants. Alors rêvons ensemble à une gastronomie plus juste et tolérante ! »