Alexandra Himmel
« J’ai appris à ne jamais perdre mon objectif de vue, à suivre ma propre voie. À garder le cap de là où je veux aller, et non pas là où les autres veulent me mener.»
Comment votre passion pour le vin est-elle née ? Comment êtes-vous devenue Cheffe Sommelière ?
Mes parents sont vignerons dans le Rheingau, et ils m’ont transmis leur passion. Dès ma naissance, j’ai été plongée dans cet univers qui était le leur.
J’ai d’abord fait mon apprentissage en tant que spécialiste en restauration, puis j’ai fait un stage dans le vignoble Tantara Winery en Californie. C’est là que ma grande passion pour le vin s’est forgée. Puis ma conviction s’est renforcée au restaurant Tantris, à Munich en Allemagne, où j’ai travaillé en tant que commis sommelière. J’y ai appris toute la magie du vin. C’est en voyant faire, et au contact du métier de sommelier, que je m’y suis de plus en plus intéressée. J’ai aimé les combinaisons qui pouvaient s’opérer entre les vins et les mets, et les émotions que cela procurait.
J’ai travaillé comme assistante sommelière au restaurant Les Solistes by Pierre Gagnaire à Berlin, et comme Cheffe Sommelière au restaurant Storstad à Ratisbonne. Peu à peu, j’ai réalisé que pour moi ce n’était pas seulement un travail mais quelque chose que je ressentais au plus profond de moi. C’est ce qui m’inspire au quotidien, j’y mets beaucoup d’énergie et c’est ce qui me rend heureuse.
Alexandra Himmel en 7 dates clés
- 2003 : Spécialiste de la Restauration à l’Hôtel & Restaurant Kronenschlösschen (Hattenheim, Allemagne)
- 2007 : Stage au domaine viticole de Tantara Winery (Santa Barbara, Californie)
- 2008-2010 : Commis Sommelière au Restaurant Tantris (Munich, Allemagne, 2**)
- 2012 : Chef de Rang et Sommelière au Restaurant Ocean (Porches, Portugal, 2**)
- 2012-2015 : Assistante Cheffe Sommelière au Waldorf Astoria et aux Solistes by Pierre Gagnaire (Berlin, Allemagne)
- 2016-2018 : Cheffe Sommelière au Restaurant Storstad (Ratisbonne, Allemagne, 1*)
- Depuis 2019 : Cheffe Sommelière au Restaurant Lafleur (Francfort, Allemagne, 2*)
Le nom du restaurant est issu du domaine Château Lafleur, à Pomerol. Le vin a-t-il une place particulière dans votre restaurant ?
En effet, le vin tient une place prédominante au restaurant Lafleur. La cave est d’ailleurs considérée comme l’une des plus belles d’Europe. Elle renferme d’inestimables trésors, comme ce millésime Château Lafleur vieux de 35 ans qui n’existe probablement dans aucun autre restaurant du pays ! Nous avons aussi un Cheval Blanc 1921, une référence rarissime, qui est la plus ancienne bouteille de la cave.
En ce moment, nous servons au verre un Château Lafleur de 1993, grâce au système Coravin. (Ce système permet de servir le vin sans ôter le bouchon de la bouteille, et donc d’en préserver toutes les saveurs. C’est très intéressant pour le service au verre, cela permet de ne pas compromettre tout le reste du breuvage.) Pour constituer la cave, je continue de travailler main dans la main avec Miguel Martin, mon prédécesseur qui a œuvré pendant 25 ans en ces lieux.
Le Chef Andreas Krolik est un amoureux du poisson. Comment travaillez-vous autour de ses plats et comment travaillez-vous avec le Chef ?
Andreas est un chef vraiment unique. Il est aussi très connu pour son travail autour des menus vegan et végétarien. Au restaurant, il y a toujours deux menus, dont l’un avec une de ces alternatives. On teste ensemble chaque association, on cherche, on goûte. Comment faire répondre tel vin à tel plat ? Comment chacun peut apporter une nouvelle dimension à l’autre au moment de la dégustation ?
Grâce à la très grande variété de références que possède la cave, j’arrive toujours à composer avec différents vins pour créer des accords très intéressants. Cela fait longtemps que j’évolue dans l’univers de la gastronomie. J’ai notamment travaillé avec les meilleurs sommeliers d’Allemagne et j’ai eu la chance d’avoir de très bons professeurs. Ensuite, pour s’améliorer, il est très important de continuer à tester et goûter sans arrêt, c’est ainsi que l’on affine son palais et que l’on trouve les accords parfaits.
Si vous étiez un vin, lequel seriez-vous et pourquoi ?
En réalité j’en suis plusieurs à la fois car cela dépend de mon humeur ! Je peux être très franche comme un Riesling, ou bien classique comme un Bordeaux avec une belle structure et de la tenue. Mais je peux me montrer aussi fine et élégante qu’un Pinot noir, puis douce et romantique comme un Cabernet !
La sommellerie a longtemps été un métier réservé aux hommes. Est-ce en train d’évoluer ?
Evidemment, les femmes ont d’abord été évincées de la scène, leur rôle était plutôt de s’occuper des enfants. Mais oui c’est vraiment en train de changer, je vois de plus en plus de jeunes femmes qui suivent des études d’oenologie, et qui se consacrent professionnellement à cette passion. Il y a beaucoup plus de sommelières dans la restauration et dans les écoles qu’il y a 10 ans, et cela continue d’augmenter !
Trouvez-vous un bon équilibre entre votre vie personnelle et votre vie professionnelle ?
Au restaurant Lafleur, nous travaillons quatre jours par semain. Le Direcetur Robert Mangiold est très attaché à cette idée qu’être épanoui dans notre travail et avoir un bon équilibre nous permet d’être plus performant.
En tant que femme, comment s’est déroulé votre parcours dans le monde de la sommellerie ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Qu’est-ce qui vous a encouragée ?
A Munich, j’ai travaillé auprès de Paula Bosch (première Sommelière en Allemagne par Gault & Millau). Elle m’a beaucoup appris, beaucoup inspirée, c’est une forte personnalité et je peux dire qu’elle a changé ma vie. Elle m’a bien préparée à la suite, j’ai été à bonne école. Car en tant que femme, quand vous évoluez dans un monde d’hommes, vous devez redoubler d’efforts. Vous avez davantage de pression parce que vous devez vous montrer plus forte, et faire vos preuves. Il y avait aussi les différences de salaires entre hommes et femmes… D’autres personnalités m’ont encouragée, comme Caro Maurer (Master of wine), ou encore Jancis Robinson (Master of wine). Ce sont des personnes qui m’ont appris à ne jamais perdre mon objectif de vue, à suivre ma propre voie. A garder le cap de là où je veux aller, et non pas là où les autres veulent me mener.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Je suis arrivée au restaurant Lafleur en 2019, et avec la pandémie beaucoup de choses ont été ralenties. Nous avons de beaux projets avec le Chef Andreas, comme continuer de développer la cave, et les accords mets et vins. Je ne suis pas encore allée au bout de cette expérience et de ce que cette collaboration pouvait nous offrir l’un à l’autre, tout reste à construire ! C’est enrichissant de travailler auprès de lui, j’apprends sans cesse et c’est très stimulant.